Hedy Lamarr, torpille sexuelle
Première partie : conception d’une bombe
– Salutations. Alors, faut que je te parle de…
– Non non non, attends. Ca va, je commence à te connaître, je veux savoir où je mets les pieds. Tu veux me parler de quelqu’un ?
– Oui.
– Avec une biographie remarquable, une vie qui mérite d’être racontée, et un nom qui devrait être connu ?
– C’est exactement ça.
– Bien. Si tu veux que j’écoute ton histoire, vends-là moi. Les points forts. Le…
– Attention. Si tu me sors un odieux anglicisme envahissant, le niveau de violence de cet échange risque d’augmenter subitement.
– Le…l’argument. Les arguments.
– Pas de souci. Je peux faire. Aujourd’hui, je te propose, notamment : une étoile super-massive, Hitler énervé, Blanche-Neige, Howard Hugues, une invention au cœur des technologies de communication modernes…
– Mouais.
– Une truanderie aux lois sur les brevets
– Thomas Edison ?
– Non, pas cette fois.
– Mais encore ?
– Euh, un orgasme qui a marqué l’histoire…
– C’est bon ! Je m’installe, je t’écoute.
– Ok. Tu connais Hedy ?
– Mais oui, je me souviens. La petite fille chez son grand-père à la montagne.
– Nan. Hedy, pas Heidi. Hedy est née en Autriche en 1914…
– Mais si, c’est Heidi !
– Non ! D’ailleurs en fait c’est Hedwig. Hedwig Eva Maria Kiessler. Mais le monde la connaîtra comme Hedy Lamarr.
– Le monde ? Jamais entendu parler.
– Eh ben pourtant je te garantis que ton grand-père la connaissait. Hedwig est la fille d’un banquier et d’une pianiste, et grandit dans la bonne société viennoise. Elle se montre dès son plus jeune âge de nature curieuse et bidouilleuse. Elle s’amuse à démonter et remonter ce qui lui tombe sous la main (boîte à musique, par exemple). Et par ailleurs, elle est, comment dire, super-jolie.
A 16 ans, Hedwig se pointe dans un studio viennois, et est engagée pour tourner deux films, sous le nom d’Hedy Kiessler. Elle se fait remarquer, c’est le moins qu’on puisse dire, et part à Berlin, où elle fait un tabac. Elle continue sur sa lancée, et est déjà saluée comme une beauté exceptionnelle. A 17 ans, Hedwig est une star européenne, connue jusqu’aux Etats-Unis.
– On dirait qu’elle est bien partie.
– Effectivement. Elle signe alors pour tourner dans une production intitulée Extase.
– Uh, ça promet.
– Tu ne crois pas si bien dire. Extase contient deux scènes qui vont définitivement attirer l’attention. La première est un plan qui montre Hedy complètement nue face caméra. D’après ce qui lui avait été dit, la scène devait être filmée de loin, et l’image devait rester largement floue. Au lieu de ça, les caméras sont équipées de lentilles à fort grossissement, et c’est…euh…pas flou. Elle s’est fait avoir par un réalisateur et un producteur libidineux.
– Heureusement, ce genre d’individus n’existe plus de nos jours, voilà un risque que ne courent plus les actrices.
– … La deuxième scène, qui a eu encore plus d’écho, est un simple gros plan du visage d’Hedy pendant qu’elle se pâme en proie à un intense plaisir.
– Tu veux dire…
– Je veux dire qu’elle est la première actrice à avoir un orgasme.
– Non, sans doute pas.
– A figurer un orgasme à l’écran, andouille. Logiquement, le film fait scandale. Il est très officiellement condamné par le Pape, et interdit en Allemagne, où les autorités nazies voient dans cette actrice, issue d’une famille convertie au catholicisme mais d’origine juive, et qui joue le plaisir sexuel au cinéma, l’incarnation de l’art dégénéré.
– Elle n’a pas 20 ans et elle tape sur les nerfs d’Hitler ? Je l’aime déjà beaucoup.
– T’as pas fini. Sur ce, Hedy se marie. Elle épouse Friedrich Mandl, un industriel de l’armement à la tête de la troisième fortune d’Autriche. Mandl a 15 ans de plus qu’elle, et s’il est admirateur transi de la jeune actrice, il réprouve tout à fait son rôle dans Extase. De fait, il lui interdit de poursuivre sa carrière, qu’il juge déshonorante. Pendant que lui aligne les contrats d’armements avec Mussolini et Hitler, ce qui est au contraire tout ce qu’il y a de plus recommandable. Hedy le décrira comme très autoritaire, et se trouve assez largement assignée à résidence dans le château conjugal. Une prison dorée, dont elle sort cependant à l’occasion pour visiter les usines de son époux, histoire de nuire sévèrement à la productivité des ouvriers qui la voient débarquer, et aussi parce que l’ingénierie, militaire ou autre, ça l’intéresse. Mais à part ça, on ne va pas se mentir, elle s’ennuie sévère et regrette rapidement ce mariage qui la réduit au rôle de femme-trophée.
– Mais quitte ce gland, Hedy !
– C’est précisément ce qu’elle se dit. En 1937, elle s’échappe, au sens propre. Elle commence par recruter une femme de chambre qui lui ressemble, puis la drogue, lui pique ses fringues, et se fait la malle en emportant un max de bijoux.
– Mais c’est de mieux en mieux !
– Hedy gagne Londres, où elle rencontre Louis Mayer, avec un M comme dans MGM (le deuxième M). Il la connaît, évidemment, mais bon, elle traîne une réputation un peu sulfureuse et ça fait maintenant quelques années qu’elle n’a rien tourné. Il lui propose donc un contrat pas très intéressant, qu’elle refuse. Mais cette petite maline embarque comme lui à bord du Normandie, qui part pour les Etats-Unis. Et elle lui sort le grand jeu.
– C’est quoi le grand jeu ?
– Pendant une soirée, alors que Mayer et les autres passagers de première classe se gobergent au restaurant, Hedy débarque au milieu de la salle, en robe de soirée…
– Je l’imagine descendant un grand escalier sous le regard ébaudi de tout le monde.
– Pareil. Elle fait sensation. Mayer a du mal à s’en remettre. A Londres, il lui proposait un contrai d’essai de six mois. Arrivée à Hollywood, Hedy, rebaptisée Lamarr pour l’occasion (hommage à une actrice du muet), signe pour 7 ans fermes avec la MGM, qui commence à en faire la promotion comme « la plus belle femme du monde ».
Sans faire la liste de ses films (on notera quand même qu’elle refuse Casablanca, qui lui avait il est vrai été proposé sans beaucoup de précision sur le scénario), elle enchaîne les tournages, avec suffisamment de succès publics et critiques pour être rapidement considérée en effet comme l’actrice la plus glamour qui soit.
Hedy Lamarr devient tellement connue pour sa beauté qu’elle est prise pour modèle par Disney pour dessiner Blanche-Neige. Dans un autre genre, les auteurs de Batman s’en inspirent pour créer Catwoman [1]. Lana Turner, qui était quand même tout sauf quelconque…
– Entièrement d’accord.
– Lana Turner, donc, disait qu’elle était capable de faire s’évanouir les hommes qui la croisaient.
A suivre…
[1] On vous avait dit que cette illustration ne venait pas par hasard.
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