Jeanne d’Arc, flammes fatales (3/3)

Jeanne d’Arc, flammes fatales (3/3)

– Bien, reprenons. On a laissé Jeanne en bien vilaine posture, tu te souviens ?

– Si mes souvenirs sont bons, elle venait d’être condamnée au bûcher par un tribunal ecclésiastique et remise aux Anglais, je pense qu’on peut effectivement parler de mauvaise passe.

– Voilà. La suite se déroule le 30 mai 1431 et ça commence assez tôt, Place du Vieux Marché à Rouen, vers 9 heures du matin.

– J’espère que tout le monde a sa petite laine, il peut encore faire frisquet le matin.

– Ce n’est pas la chaleur qui va poser problème, va. Jeanne arrive dans une charrette protégée par une palanquée de troufions anglais, une petite centaine tout de même, selon les sources.

– Ils ont peur d’une môme de 19 ans ?

– Ils ont surtout peur d’un mouvement de foule, je pense. De Jeanne elle-même, ils ne craignent pas grand-chose. Elle est ligotée, on lui a passé une tunique de toile enduite de soufre et on lui a collé sur le crâne une sorte de mitre qui récapitule ses crimes. Et on l’amène au pied du bûcher où l’attend un panneau qui reprend lui aussi le résumé du jugement : « Jehanne qui s’est fait nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, divineresse, superstitieuse, blasphémeresse de Dieu, maicréante de la foy de Jésus Christ, idolâtre, cruelle, invocateresse du diable, apostate, schismatique et hérétique ».

– Rien que ça.

– Oui, tu sens qu’ils étaient chauds pour en faire des pages et des pages.

– Non ça c’est Jeanne.

– Hein ?

– Qui va être chaude.

– Tu n’as pas eu la note ?

– Quelle note ?

– CELLE AU SUJET DU MORATOIRE SUR LES BLAGUES FACILES AVEC JEANNE D’ARC.

– On peut plus rigoler. Et après ?

– Après, c’est galère : Geoffroy Thérage, le bourreau de Rouen, connaît son boulot, pourtant, mais les Anglais ont demandé un dispositif un peu spécial pour que tout le monde voit bien. Le bûcher est très haut, plus que d’habitude et il s’en voit pour attacher Jeanne au poteau.

Vous voyez cette image ? Oubliez-là, ça ne ressemblait pas du tout à ça.

– Le pauvre homme.

– Oui, on sous-estime les risques psycho-sociaux chez les bourreaux. En tout cas, à 11 heures, Thérage met le feu aux bottes de pailles et démarre sa petite affaire. Mais la taille du bûcher l’empêche de faire un truc qui aurait été appréciable, à tout prendre.

– C’est-à-dire ?

– Souvent, le bourreau a un geste de miséricorde pour éviter une mort douloureuse au-delà de ce qui peut se concevoir, en étranglant discrètement les condamnés avec un lacet pour leur accorder une fin rapide. Jeanne n’a pas cette chance et meurt au milieu des flammes. Tout ce qu’on peut lui souhaiter, c’est d’avoir été asphyxiée avant par la fumée.

– Et elle n’a rien dit ?

– A part « Aaargh » ? Vu le nombre de légendes qui courent autour de ses dernières paroles, elle a même eu le temps de faire l’équivalent de trois discours de Castro avec deux rappels. Évidemment, tout cela est toujours très édifiant, elle en appelle au Ciel, à Dieu et à ses Saints, rend hommage à son roi, renvoie Cauchon dans ses buts et maudit les Anglais, bref, toute une série de dernières phrases aussi improuvables les unes que les autres.

– Et quand c’est fini ?

– On recommence.

– Pardon ?

– Oui, les Anglais ont réclamé qu’on brûle trois fois son corps.

Document non contractuel, c’est juste pour créer une atmosphère.

– Mais quelle idée ?

– Les reliques, mec. Ils redoutent que les restes de Jeanne fassent l’objet d’un trafic chelou qui entretienne son souvenir. Du coup, ben ce qui reste d’elle repasse trois fois au bûcher, jusqu’à ce qu’il n’en reste que des cendres et quelques fragments d’os qu’on ramasse soigneusement et qu’on balance dans la Seine.

– Finie Jeanne d’Arc.

– Alors oui et non.

– Comment ça oui et non ? Elle a cramé trois fois !

– Oui, mais l’histoire n’est pas finie, à plusieurs titres. D’abord parce que Jeanne va avoir droit à un second procès devant un tribunal religieux.

– Des procédures d’appel après le supplice du condamné, ça ne sent pas le truc très au point sur un plan logique, si tu veux mon avis.

– Je suis bien d’accord mais c’est pourtant ce qui se passe 25 ans plus tard. En 1455, le procès religieux est rouvert dans un contexte politique différent. En 1456, le premier jugement est annulé pour « corruption, dol, calomnie, fraude et malice » et « Jehanne la bonne Lorraine qu’Englois brulerent à Rouan », pour citer François Villon [1], est lavée de tout crime contre la foi chrétienne.

– Ce qui lui fait une belle jambe.

– Pour sa famille, c’est important. Ceci dit, ça n’a pas beaucoup de conséquences concrètes sur les juges du procès de 1431, la plupart sont morts de leur belle mort entre temps, à commencer par Cauchon. En revanche, sainte Jeanne d’Arc, faut attendre un peu plus longtemps, ça ne remonte qu’à 1920, pas loin de 5 siècles après le barbecue du Vieux Marché.

– Tu disais que ça n’était pas fini pour plusieurs raisons ?

– Ah oui, il y a eu le coup des fausses Jeanne d’Arc, aussi. Assez vite après le procès, le bon vieil effet « non mais le héros ne peut paaaas mourir, je vous dis que Ned Stark va revenir, moi » a joué à plein et on a commencé à voir Jeanne de partout, à raconter que ce n’était pas elle sur le bûcher, que Dieu lui avait permis de s’évader et à imaginer des machinations à faire baver d’envie les complotistes.

–  Et… ?

– Et rien du tout, ça n’a aucune sens et l’historienne Colette Beaune a mis les points sur les « i » sur ce genre d’âneries, mais certains contemporains ont flairé la bonne affaire.

– C’est-à-dire ?

– C’est-à-dire que plusieurs femmes se sont fait passer pour Jeanne. Il y en a eu quatre au moins en 15 ans dont Marie la Ferrone, une femme qui sort de nulle part en 1440 et prétend être la Pucelle. Elle est vite démasquée et finira même tenancière de bordel, ce qui a une certaine saveur. Mais la plus célèbre et la plus douée, c’est Jeanne des Armoises.

– Papiers.

– Elle, elle débarque de côté de Metz en 1436 et le plus beau, c’est que deux des frangins de Jeanne d’Arc affirment que c’est bien leur sœur, brûlée cinq ans plus tôt, qui se tient devant eux. Ça va tellement loin que Jeanne est reconnue par plusieurs officiels de la ville qui lui offrent un cheval, des armes, des cadeaux… Même à Orléans, on la reconnaît et on organise même une grosse teuf en son honneur.

– Mais alors… ?

– Alors que dalle. Jeanne est bien morte et une ressemblance n’est pas une preuve, y compris avec des frères qui ne l’ont pas vu depuis 6 ou 7 ans. L’imposture va mettre un peu de temps à éclater, mais quand Charles VII s’y colle en personne, la fausse Jeanne, qui a entre temps épousé un chevalier lorrain, Robert des Armoises, ne tarde pas à se carapater pour éviter de se retrouver à son tour sur un bûcher pour foutage de gueule éhonté.

– C’est dommage, ça aurait fait un rebondissement rigolo.

– En fiction, oui. En histoire, je te conseille d’éviter comme la peste les zozos qui parlent de mystère de Jeanne d’Arc, généralement les mêmes qui achètent des anneaux qui coûtent un rein en jurant que promis, c’est la bague de la Pucelle, sans l’ombre d’une preuve solide. Et puis de toute façon, la façon dont on se souvient de Jeanne d’Arc aujourd’hui est presque plus étonnante que les théories vaseuses qui se diffusent encore à son sujet.

– C’est-à-dire ?

– Tout le monde s’est inventé sa propre Jeanne depuis qu’on l’a ressortie des cartons au 19e après l’avoir à peu près oublié pendant quatre siècles. Elle a une telle puissance symbolique que tu peux faire d’elle à peu près ce que tu veux, de l’incarnation de la résistance à l’envahisseur en passant par la martyre humiliée, la figure du petit peuple, la paysanne qui se hisse à force de mérite aux côtés des plus grands chefs de guerre de son temps pour bouter l’étranger hors de France… Bref, un symbole de la rébellion du faible contre le fort, du petit contre le gros. – Des Camelots du roi aux Croix de Feu, la plupart des ligues des années 30 s’en réclamaient déjà. Sa lutte contre les Anglais lui valut d’être enrôlée par le régime de Vichy : après le bombardement allié sur Rouen – ville où Jeanne mourut brûlée – l’État français fit éditer le poster ci-dessous. Une petite merveille de propagande qui se passe de commentaires.

– Faut avoue que c’est pas mal vu, question slogan.

– Oh ça, c’est techniquement une réussite en termes de propagande. Et ça continue aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si l’extrême-droite se rassemble chaque 1er Mai sous statue, à Paris. Ce qui est d’ailleurs n’importe quoi.

– Parce que ?

– Parce que ça ne correspond à rien, le 1er mai, pour Jeanne.  Ce n’est pas la date de sa mort, elle a été exécutée le 30 mai. Ce n’est pas non la libération d’Orléans, c’était le 8 mai 1429. La vraie raison est plus prosaïque : le 1er mai, c’est bien commode pour parasiter les manifestations liées à la Fête des Travailleurs. Une commémoration détournée, placée à une date qui n’a aucun sens, c’est pas mal pour un parti qui joue toujours les champions de l’histoire de France. Et comme ils sont nés avant la honte, ils hésitent rarement à faire le coup avec d’autres images d’Épinal comme Charles Martel qui tient la grosse cote à l’extrême-droite, depuis quelque temps.

– Pauvre Jeanne.

– Pauvre Jeanne.


[1] Rends l’arvent, François.

6 réflexions sur « Jeanne d’Arc, flammes fatales (3/3) »

  1. Le bonjour et le merci,
    Vous allez dire que je pinaille, mais il me semble avoir lu quelque part dans le texte « le poster ci-dessous ». J’ai dû faire l’équivalent de Orléans-Rouen avec la molette de ma souris, je n’ai pas vu l’ombre d’un poster dessous le ci évoqué. Il y a tromperie sur la marchandise, vous serez rebaptisé Jean-Christophe des Armoises pour la peine.
    Mais sinon, c’est chouette. Et c’est écrit plus gros que dans Avec un grand H, c’est bien.

  2. Bonjour,

    Merci pour cette mini-série.

    On est dimanche, je ne dois pas avoir les yeux en face des trous. Je ne comprends pas la phrase :
    « Le bûcher est très haut, plus que d’habitude et il s’en voit pour attacher Jeanne au poteau. »

    Sinon, je crois avoir vu 2 coquilles
    – « bottes de pailles » -> « bottes de paille »
    – « chaque 1er Mai sous statue » -> « chaque 1er Mai sous sa statue » (devant, plutôt, non ?)

  3. Je dois être un peu bête, mais je ne comprends pas le sens de la phrase « il s’en voit pour attacher Jeanne au poteau ».
    C’est une expression que je ne connais pas, ou il manque un mot ?

  4. Un peu tard, mais… « s’en voir » est une expression de la région de Lyon/Saint Etienne qui signifie qu’on rencontre des difficultés pour faire quelque chose.

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