Le Bon, la Brute, le Truand : une histoire de recel de bijoux

Le Bon, la Brute, le Truand : une histoire de recel de bijoux

Ca faisait un petit moment qu’on était sur leur piste. Un de ces tuyaux trop gros pour être vrais, mais trop prometteurs pour être ignorés. Il nous venait d’un vieux Mauricien, une sorte de mulâtre moitié français moitié yankee. Brown-Séquard, qu’il s’appelait. Il était pas bien clair, mais y’avait aucun doute sur la lueur qui éclairait ses yeux quand il nous parlait de son filon. Alors mon coéquipier et moi on était d’emblée devenus trèèèèès attentifs quand il avait commencé à nous raconter son histoire. A ce qui nous semblait, une histoire de grosses pépites qui passaient de main en main, et d’hommes-médecines plus ou moins louches qui n’auraient pas hésiter à dérouler des kilomètres de bobards pour tondre des pieds-tendres de la ville dont le coup de fusil s’était un peu ramolli.

L’avantage de bosser au En Marge Express, c’est qu’on est souvent informés avant tout le monde. Et que personne viendra poser des questions si une rumeur disparaît avant d’arriver à la grande ville. Si y’en qui posent quand même des questions…disons qu’il n’y a pas que les rumeurs qui se perdent dans la plaine. Nous on préfère discuter, mais pour ceux qui sont durs d’oreille on peut aussi laisser la parole à nos collègues Smith et Wesson. Parlent pas des masses, mais sont du genre convaincant, et ils ont souvent le dernier mot.

Le vieux Brown-Séquard nous avait parlé de trois gars. Des spécialistes du « transfert de bijoux », selon lui. Il était temps qu’on se penche sur le premier.

Le bon : Samuel Serge Voronoff

– Sérieusement, la thérapie testiculaire ne s’est pas arrêtée avec Charles-Edouard Brown-Séquard ?

– Comme tu es naïf. Un traitement susceptible de rendre jeunesse et vigueur sexuelle ?

– Oui, c’est vrai que vu comme ça. Eh bien je t’en prie, dis-men plus sur le successeur de ce brave Charles-Edouard.

– LES successeurs.

– Ah oui ?

– Jeunesse et vigueur sexuelle. Le premier est un brave type : Samuel Serge Voronoff.

– Un brave type, avec un prénom pareil ?!

– C’est malin.

Appelons-le Serge, pour éviter les confusions.

Il naît en Russie, mais sa famille fuit le pays pour ne pas finir dans un pogrom. Les Voronoff s’installent en France, et Serge fait des études de médecine. Tout va bien pour lui : il est naturalisé français, et épouse une demoiselle Marguerite Barbe, fille de François Paul Barbe, qui n’est autre que le promoteur en France de la belle invention de l’ami Alfred Nobel.

– Celle qui fait boum ?

– Celle-là même mon garçon, la dynamite. Cela dit le mariage ne durera pas. Serge est nommé chirurgien auprès du Khédive du Caire en 1896. Il y réalise notamment des observations des eunuques qui se trouvent encore là-bas, et en tire des conclusions sur les liens entre apparence physique et organes génitaux.

« Mes travaux préliminaires me conduisent à la conclusion que AAAAAAAAAAH ! »

Il faut préciser que l’existence des hormones, qui était soupçonnée par Charles-Edouard, est formellement découverte en 1901. Elles constituent donc maintenant un champ de recherche en bonne et due forme. Par ailleurs, ça n’a rien à voir mais ça te fera plaisir, Serge dit également le plus grand bien de ce brave Jean-Dominique Larrey.

– Il a bien raison.

– Sans aucun doute. Voronoff revient en France en 1910, et se passionne pour deux sujets, les greffes et les glandes à sécrétion internes et externes, plus particulièrement les testicules. Mais pas que. C’est ainsi qu’en 1915 il greffe une glande thyroïde de chimpanzé sur un patient cliniquement idiot, dont il dit qu’il a retrouvé des capacités intellectuelles normales dans l’année qui a suivi.

On a des suggestions de receveurs.

En 1917, en repartant des travaux de Brown-Séquard notamment, il expérimente de la même façon des greffes de testicules entre animaux, et constatent une amélioration de l’état de santé des receveurs.

– Oui ça les donneurs sont moins à la fête.

– Après la guerre, Voronoff continue à rechercher les moyens de rajeunir les organismes. Et fort de ses travaux, il se sent prêt à passer aux choses sérieuses. C’est ainsi que le 12 juin 1920, il procède à la première greffe de testicule d’un animal à un homme. L’objectif est de rendre à ce dernier vigueur et jeunesse. Le patient est un homme de 45 ans, castré 20 ans plus tôt parce qu’il était malade de la tuberculose.

– Je…

– Non, moi non plus je ne vois pas immédiatement le lien, mais ce n’est pas la question. La méthode de Voronoff diffère assez sensiblement de celle de Brown-Séquard. Ce dernier pratiquait l’injection d’extrait, là on parle bien de greffe. L’homme et l’animal sont opérés simultanément. Une fois les…matières premières prélevées, Serge découpe 6 fines lamelles dans un des testicules…

Attention, ça peut piquer un peu les yeux.

Puis il les insère dans le scrotum du patient. L’humain. L’idée en greffant de fines lamelles est qu’elles fusionnent véritablement avec son organisme afin qu’il en tire tous les bénéfices.

– Par exemple ?

– Serge constate un regain de vigueur chez ses patients. Vigueur physique, mentale, et sexuelle.

– Attends, ses patients ?

– Oui. Voronoff est un médecin établi, il annonce que l’opération est concluante, par conséquent il reçoit des demandes. Comme pour Brown-Séquard, l’accueil de la profession est mitigé, mais pour autant en 1923 il est directeur de laboratoire au Collège de France, et quelques années plus tard il fait même construire deux singeries pour subvenir à ses besoins en greffons, à Menton et Nogent-sur-Oise. Il faut dire que Voronoff met également en avant une meilleure mémoire et capacité de travail chez ses patients, et pense même pouvoir soigner ainsi des pathologies psychiatriques, comme la schizophrénie.

– Carrément.

– Oui. Mais enfin bon on ne va pas se mentir, le regain de vigueur charnel reste un argument, euh, massue. Voronoff n’hésite à faire de la promo sur la base de clichés avant/après saisissants.

Serge Voronoff, pionnier de la xénogreffe et de Photoshop.

Il met aussi en avant les témoignages de patients ravis, comme Sir Arthur Liardet, un militaire britannique de 74 ans. Huit mois après la greffe, Voronoff note ainsi qu’il a perdu son embonpoint, que ses cheveux repoussent, et qu’il a à nouveau avec sa femme les mêmes rapports que 30 ans auparavant.

– La pauvre…

– Note que ça n’empêchera pas Liardet de claquer deux ans et demi plus tard d’une crise de délirium tremens. Il avait manifestement aussi un rapport vigoureux avec la bouteille. Et sache que Voronoff ne se limite pas aux hommes, puisqu’il pratique de la même façon la greffe d’ovaires de guenons sur des femmes, avec les mêmes résultats probants. Il signale d’ailleurs que ça marche encore mieux si on implante aussi la thyroïde ou l’hypophyse tant qu’on y est.

– Ca paraît un peu gros quand même. Il ne serait pas un peu charlatan, ton Voronoff ?

– Il pratique certainement le marketing, mais il est sincèrement convaincu de l’efficacité de son opération. La preuve, il opère son propre frère en 1927.

Est-ce qu’il prend des photos ? A votre avis.

Il est même possible qu’il ait lui-même été opéré, pour pouvoir satisfaire une jeune « amie » de 18 ans rencontrée quand il en avait lui-même plus de 60. Toujours est-il que Voronoff reçoit la légion d’honneur, et devient une figure publique mondiale. A Paris, un cocktail dit « Glande de singe » est créé en son honneur .

– LA consécration.

– Ce brave Serge voit sa procédure comme un bienfait. Pour soulager la société de la charge des vieillards en institutions, il propose la généralisation de sa technique pour les rendre plus actifs. Après une expérimentation à Alger, l’opération est adoptée par des hospices à San Francisco, Turin, et Alba. Ainsi, au début des années 30, à l’échelle mondiale, plus de 500 hommes ont été traités, notamment dans une clinique spécialisée à Alger.

– Ca commence à faire.

– Serge ne compte pas d’arrêter là. Il propose des greffes à grande échelle sur le cheptel ovin français pour améliorer la production lainière. Après deux ans, les animaux greffés pèsent en moyenne 12 % de plus, et leur toison 20 %. Pour leurs descendants, c’est 25 % et 30 %.

– Mais c’est que ça devient très significatif.

– N’est-ce pas ? Malheureusement, dans les années 30, les choses se gâtent un peu. Avec le temps, les implants se nécrosent, et les effets positifs tendent à disparaître. Les patients se plaignent.

– Ca part en…

– Je savais qu’on en arriverait là. En plus, la testostérone est isolée puis synthétisée en 1935, ce qui rend en tout état de cause la greffe inutile. Ce qui est curieux, c’est que les expériences réalisées par la suite ont montré que les effets des injections de testostérone sont plutôt limités, sans commune mesure avec ceux des greffes de Voronoff.

– Ben alors…

– Ben alors la conséquence immédiate c’est qu’il perd une bonne partie de son crédit dans les années 40, au point que figure mondialement connue au début des années 30, il est assez largement oublié quand il disparaît en 1951. Au-delà de ça, le succès de ses opérations, et le fait que les greffes n’étaient pas massivement rejetées, restent encore mal compris aujourd’hui.

– Placebo ?

– C’est bien possible, mais il faut quand même noter que le taux de réussite était quand même particulièrement élevé. Mystère et b…

– Oui, hein, c’est pénible, on peut plus rien dire.

– Quoi qu’il en soit, si aujourd’hui les greffes de testicules de singes de Serge Voronoff sont considérées comme une erreur au plan médical, il est incontestable que son objectif premier était plutôt noble et philanthropique. Lui, c’était plutôt le bon gars. On ne pourra pas en dire autant des autres.

– Quels autres ?

– Le monde se divise en deux. Y’a ceux qui savent, et ceux qui patientent. Toi, tu patientes.

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