Le tueur du château d’Édimbourg

Le tueur du château d’Édimbourg


Aaah, Édimbourg. L’Ecosse. Son whisky, son Loch Ness, ses douches, son vent sur les landes, ses cornemuses et ses châteaux hantés. S’il y a un pays où on s’attend à croiser des spectres partout, c’est bien l’Ecosse éternelle. Sauf que vous pouvez oublier les brumes, l’odeur des feux de tourbe et les légitimes interrogations sur ce qui peut bien pendouiller sous le kilt des Écossais, je parle de l’autre Édimbourg : celui de la Jamaïque. Ne me regardez pas comme ça, il y a bien un Paris au Texas, je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas un Édimbourg au pays de Bob Marley.


« …I shot the sheriff, but I did ‘n’t shot the deputy, I shot the sheriff, but … « 

Cela étant, l’homme qui débarque dans la perle des Caraïbes en 1768 est bel et bien écossais, si ça peut vous faire plaisir : Lewis Hutchinson, un médecin de métier de 35 ans parti bien loin de ses landes natales. Grand, maigre et un plus rouquin qu’un incendie, Hutchinson passe d’autant moins inaperçu en pleine Jamaïque qu’il est riche, pour faire bonne mesure. Voilà notre expatrié de luxe qui s’offre une vaste terre au centre de l’île, tout autour d’une colline venteuse et éloignée des principaux centres de Jamaïque, encore colonie britannique pour deux siècles ou presque.

Monsieur est riche, monsieur fait construire : une bâtisse sort de terre en quelques années, un vaste manoir de deux étages, flanqué de deux tours rondes elles-mêmes percées de meurtrières. Une coquetterie architecturale qui n’a pas franchement lieu d’être dans la mesure où l’attaque d’une horde d’écorcheurs médiévaux au beau milieu des Antilles est assez peu probable en plein XVIIIe siècle, m’enfin ça doit lui rappeler le pays. Preuve en est qu’il lui donne le nom de la capitale écossaise et s’y installe confortablement.

Bétail excepté, le coin est désert. Seuls les voyageurs qui empruntent la route de la baie de Sainte-Anne passent en contre-bas de la grande bâtisse, unique habitation digne de ce nom à des lieues à la ronde. Tout autour, ses terres s’étendent, des landes piégeuses truffées de dolines, ces creux naturels en forme d’entonnoir, qui rappellent les cratères laissés par des bombes. C’est pénible comme tout, et c’est surtout dangereux pour le bétail et pour les gens qui ne connaissent pas le coin. Non seulement c’est vite fait de de s’y casser la binette et d’y rester coincé, mais on peut même y rester tout court : au fond, certaines dolines peuvent ouvrir sur un trou de plusieurs dizaines de mètres de profondeur.

Dans les années 1770, le docteur habite seul au milieu de tout avec quelques esclaves en guise de domestiques – ils ne manquent pas, la Jamaïque étant restée longtemps l’une des plaques tournantes de la traite négrière. Côté revenus, Hutchinson fait dans le rural et compte sur le pognon qu’il tire d’une bonne quantité de têtes de bétail, moutons, chèvres ou brebis. On ne peut pas dire qu’il traite plus mal son bétail que ses domestiques, d’ailleurs :  dans sa grande bonté, il les traite tous comme des bêtes.

Dans l’île, le domaine se fait rapidement une réputation, et pas une bonne. On dit le docteur féroce et très, mais alors très peu enclin à discuter. D’ailleurs, le rare voisin qui est un jour venu interpeller Hutchinson pour une histoire de bêtes volées s’est proprement fait défoncer la binette, au point qu’il en réchappera tout juste. Les conséquences ? Peau de balle : les quelques appuis dont bénéficie Hutchinson auprès des autorités de l’île font que rien ne se passe.

Et puis… Au fil du temps, on commence à remarquer que des voyageurs partis de Saint Ann Bay, au sud, n’arrivent jamais à destination. Or, la route qu’ils empruntent ne passe que devant un seul endroit habité : le château d’Édimbourg. Rapidement, le bruit court que le très peu sympathique docteur Hutchison a quelque à voir dans cette histoire, mais rien de précis jusqu’à ce que les rumeurs enflent et se fassent de plus en plus insistantes, au point qu’un jeune officier de Sa Majesté, John Callendar, décide d’en avoir le cœur net. Il se rend au château avec la ferme intention d’interroger Hutchinson, en plein jour et après avoir soigneusement prévenu sa hiérarchie de l’endroit où il se rendait. Le jeune homme trouve porte close. Pas découragé pour un sou, le jeune homme rentre par une porte-fenêtre. Et se prend une balle en pleine tête.

« Si quelqu’un a du Synthol, je suis preneur. »

Quelques jours après sa disparition, une foule de soldats débarque pour fouiller la zone, mais sans succès : aucune trace de Callendar – enfin jusqu’à ce jusqu’à ce qu’un petit malin ait la brillante idée de jeter un œil dans une doline, en descendant une botte de paille enflammée pour donner un peu de lumière. Quelques mètres plus bas, bingo : on retrouve le corps du malheureux, accroché à une pointe rocheuse qui l’a empêché de finir vingt mètres plus bas.

Hutchinson tente bien de prendre la fuite et se débrouille même pour monter à bord d’un bateau en partance pour l’Europe, mais l’amirauté britannique lui balance un de ses trois-mâts aux miches et Hutchinson finit par être capturé et ramené à Kingston. Son procès concerne d’abord le seul meurtre du jeune soldat, mais les chefs d’accusation sont assez vite étendus. Et au fil des témoignages, le portrait du premier serial killer recensé à la Jamaïque se précise.

Depuis plusieurs années, Hutchinson avait pris l’habitude se poster dans l’une des tours du château, assis sur une chaise, mousquet en main. Et comme on a les loisirs qu’on peut, son passe-temps préféré consistait à faire des cartons sur les rares voyageurs. Une fois l’homme abattu, Hutchinson rejoignait la route avec ses esclaves et dépouillait le cadavre de toutes ses richesses avant que tout ce beau monde ne le traîne vers une des dolines dont je parlais, profonde de pas loin de cent mètres et toujours très officiellement recensée par les géologues d’aujourd’hui comme le Trou Hutchinson. Mais il y a pire. Avec le temps, Hutchinson s’est mis à pousser un peu le vice. À en croire les esclaves, il invitait à dîner ses futures victimes avant de leur tirer subitement dessus au beau milieu du dessert, dans le ventre, histoire que l’agonie dure un peu. Toujours d’après ses serviteurs, le docteur aimait alors à se remplir un verre de sang et à le boire devant son convive mourant. Détail toujours sympathique, l’ancien médecin leur coupait ensuite la tête, avant de l’abandonner aux corbeaux quand ça se mettait à cocotter sérieusement.

M. Howard. P. Lovecraft tient à souligner qu’il ne peut ni infirmer, ni confirmer l’implication de son client dans cette affaire.

Surréalistes, les témoignages collent pourtant très bien avec ce qu’on retrouve au château. Pas de corps, non. Mais une montagne de fringues, de bijoux, de pièces de monnaies – et de montres, quarante-trois exactement., dont pas une ne portait les initiales du bon docteur. En un temps où ce n’était pas franchement courant de pouvoir se payer une tocante, ça laisse supposer un nombre de victimes pas racontable.

Ce que racontent les serviteurs de Hutchinson défie l’entendement au point que la Cour finit par leur demander de bien vouloir la fermer au nom d’un argument imparable : on ne va tout de même pas faire confiance à des esclaves, Noirs qui plus est, ma pauvre dame. En dépit des preuves, en dépit des témoignages, le procès finit par se concentrer sur le seul meurtre du jeune anglais, à la grande colère de la foule et des familles des disparus.

Hutchinson a le culot de plaider non coupable pour ce meurtre-là : ça ne marche pas, en appel non plus et le docteur est condamné à mort. Du fond de sa cellule, Hutchinson laissa de l’argent pour qu’on inscrive sur sa tombe les deux vers suivants : « Their sentence, pride and malice, I defy / Despise their power, and like a Roman, die« . En gros : « leur verdict, leur orgueil et leur méchanceté, je n’en ai cure / Méprise leur pouvoir et meurs comme un Romain. » Il va plutôt finir comme un jambon puisque on le pend haut et court le 16 mars 1773, sur la grande place de Spanish Town.

Ses terres ne sont pas tellement plus fréquentées de nos jours qu’à l’époque. Du château d’Édimbourg, Jamaïque, il ne reste plus que quelques ruines, quelques murs isolés, des pierres éparpillées.

Et une doline.

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