Le type qui faisait peur à Barbe Noire

Le type qui faisait peur à Barbe Noire

– Sam, mea culpa.

– Écoute c’est un peu gênant, tu sais, mais je connais un urologue à qui tu pourrais parler de tes problèmes de tuyauterie intimes et…

– Quoi ? Imbécile. Je voulais dire que je plaide coupable.

– J’en connais un qui attaqué la picole encore plus tôt que prévu.

– Non, vraiment. Le dernier billet sur Anna Watts était un poil sérieux.

– Par rapport à celui sur la guillotine, tu veux dire ?

– Touché.

– Je suis dur parce qu’en même temps, faire marrer avec des mutilations de la face…

– Certes. Mais tout de même, il faut réagir.

– Très bien.

– Avec un sujet primesautier.

– Je commence à me méf…

– Quelque chose de léger, de détendu.

– Oh merde

– LE PIRE PIRATE DE TOUS LES TEMPS.

– Je le savais. A chaque fois. Je me fais avoir à CHAQUE fois.

– Enfin si toi, Sam, tu ne veux pas parler de pirates, c’est à désespérer de tout.

Les réunions de rédaction sont toujours animées. Coûteuses sur le plan des travaux de plâtrerie peinture, mais animées.

– Ce n’est pas ça, c’est que je sens qu’on est repartis sur Barbe-Noire et le capitaine Kidd.

– Nope. Le gars à qui je pense les aurait probablement poussés à se recroqueviller comme des enfants derrière leur lit en sanglotant de trouille.

– Barbe-Noire, sangloter ?

– J’exagère un peu mais disons qu’à côté de héros du jour, Barbe-Noire, c’est Mary Poppins.

– Je refuse de te laisser abîmer mes rêves.

– Mais si. Barbe-Noire, avec un petit parapluie et une moue coincée.

A l’abordage, gibiers de potence !

– Je te hais.

– Je vais compenser : laisse-moi te présenter François L’Olonnais.

– Un pirate qui s’appelle François, déjà, ça part mal. Jack, Bill, Henry, Ed, tant que tu veux, mais François ?

– Et pourtant. Cocorico, en plus : c’est un Français des Sables d’Olonne, d’où son nom. Et… Bon, tu sais qu’on a un problème avec les pirates ?

– Ah ?

– Oui. La fiction leur a collé une image flamboyante, romantique qui colle assez mal avec la réalité. La plupart du temps, une bande de pirates, çà se résume à un équipage de semi-truands mal dégrossis et de trafiquants en tous genres, plutôt paumés. Le genre Billy Bones, l’espèce de misérable ivrogne qui débarque au début de L’Île au trésor dans l’auberge de Jim Hawkins. Des hommes brutaux avec les faibles, et plutôt trouillards pour le reste. Mais disons que l’Olonnais, c’est qui se fait de mieux dans la catégorie « pirate cruel », autre grand classique de la pop culture. Malin, cruel et complètement cinglé.

– Un gars comme on aime. Et il est cinglé à peu près quand, lui ?

– En 1630. Et quitte à naître en Vendée, c’est plutôt un bon choix. D’abord Philippe de Villiers n’existe pas encore, ensuite, les Sables c’est le top du top. Le cœur économique de la Vendée.

– Ah ?

– Oh oui. Tout une économie basée sur la morue.

« Oui ben si on pouvait plutôt parier sur le tourisme, ça m’arrangerait ».

– Tu me fais rêver.

– Pas assez classe, hein ? Figure-toi que François non plus, ça ne le fait pas rêver. Va savoir pourquoi, il ne se projette pas dans la filière morue. Ou alors pas dans le même sens du terme.

– Et il fait quoi ?

– L’aventure, mec, l’aventure. Et pour ça, deux oui trois éléments de contexte. Dans la deuxième moitié du 17e siècle, l’Espagne a commencé à bien, mais alors bien exploiter le Nouveau Monde, merci pour elle. Des convois maritimes ramènent régulièrement des cargaisons de richesses qui font fantasmer les aventuriers et les mines d’or et d’argent des Amériques permettent à l’Espagne de passer en triple A. Le Siglo de Oro porte bien son nom, quoi. En revanche, pas mal d’autres royaumes tirent la gueule, d’autant que l’afflux d’or et d’argent espagnols a totalement flingué le fonctionnement monétaire européen.

– Bref, y a des gros jaloux.

– En gros, oui. Quand tu traverses l’Atlantique avec des galions truffés de pognon, ça fait naître les convoitises. Et pour un jeune gars dynamique comme l’Olonnais, ça ouvre des perspectives très concrètes.

– À savoir ?

– A savoir qu’il file aux Caraïbes, l’endroit idéal pour s’attaquer aux navires espagnols qui auraient la mauvaise idée d’avoir perdu le reste du convoi. Les capitaines ne sont pas idiots, ils naviguent ensemble pour décourager les attaques. Mais une tempête suffit à te faire perdre ta route un moment et là…

– Enfin j’imagine que même isolé, ça ne se prend pas avec un canif, un navire espagnol ?

– Ah non.  Ils ne se baladent avec une pancarte « aucun soldat à bord, fesse-moi avec une pelle ». Et ils défendent chèrement leur bout de lard. Les bateaux marchands, lourds sur l’eau et ventrus, sont certes lents mais armés, parfois jusqu’aux dents, et préparés à la castagne. Et non seulement ils se défendent en mer, mais les Espagnols nettoient aussi les îles où se réfugient pirates et boucaniers.

– Les… ?

– Les boucaniers. Pas des pirates, d’ailleurs, au moins à l’origine, mais des chasseurs qui boucanent leurs proies – qui les fument, autrement dit.

– Quoi, dans des pipes ? Tu peux disons fumer un gnou ?

Ce qui expliquerait des trucs.

– Je ne crois pas qu’il y ait des gnous aux Caraïbes, patate, et je veux dire qu’ils fument la viande, viande qu’ils revendent ensuite aux équipages qui font escale dans le coin. Avec le temps, certains s’enhardissent et se lancent sur les mers, là où les Espagnols les attendent de pied ferme, probablement avec une petite muleta à la main.

– Paye ton cliché. Et François ?

– Il est arrivé tout gamin dans les Caraïbes, sans doute comme mousse. Et franchement, les débuts ne sont pas flambants. Pour ce qu’on en sait, il passe trois ans dans une clandestinité quasi-sauvage, à subir les descentes espagnoles. Si tu as le malheur d’être pris, il n’y a pas 36 solutions, tu termines en général au bout d’une corde si tu as de la chance, supplicié de manière inventive si tu n’en as pas. Ça marque l’Olonnais qui a vite une dent contre les Espagnols, et une grosse. Format narval.

– D’où son envie de se venger dans des batailles narvales.

– Je te jette un regard sévère et glacial, Sam.

– M’en cogne. Continue.

– Une fois un peu dégrossi, l’Olonnais se lance en mer, d’abord comme simple matelot. Mais il a un truc en plus : au combat, il se comporte en parfait cinglé à qui rien ne fait peur. Et ça, ça en impose : à la mort du capitaine, il est élu à son poste.

– Élu ?

– Moui, ça surprend toujours. La piraterie caraïbe se distingue entre autres par une forme étonnante de démocratie. Et l’Olonnais fait merveille, il réussit plusieurs coups de mains hardis qui se soldent par de bonnes prises, doublées d’une french touch qui fait vite causer : si l’équipage est espagnol, il ne fait pas de quartier.

– Oh.

– Enfin si pardon : il en fait plein. Des tous petits. En viande humaine. Et il laisse tout ça pourrir au soleil.

– Non mais tout de suite l’exagération.

– Pas du tout, c’est vraiment une manie, apparemment. Ça et la décapitation artisanale, au couteau. Il paraît qu’on trouve vite le temps long, quand on est concerné. Ah et puis il a une idée jolie.

– Je crains le pire.

– Il laisse en général un homme en vie.

– C’est… Gentil ?

– Non, c’est malin. Une fois secouru, le mec raconte ce qu’il a vu. Et ça, ça aide beaucoup à se faire une réputation.

– Une mauvaise.

– Ben pirate, à la base, t’es pas tellement là pour boire un thé avec le petit doigt en l’air, tu sais. Cela dit, ce n’est pas un navire espagnol un peu plus résistant que les autres mais un orage qui a la peau de son premier bateau, échoué au Mexique.

– Pas de pot.

– Non surtout que la loi de Murphy s’en mêle : c’est exactement le moment que choisit un navire espagnol pour les repérer sur la plage.

– Outch.

–  Ils démolissent tout l’équipage sans trop faire dans la dentelle. François l’Olonnais se couche parmi les cadavres et s’asperge avec le sang des copains morts, histoire de faire crédible. C’est le seul à s’en tirer vivant.

– Hollywood adorerait.

– Oh ben attends avant de signer. Une fois les Espagnols partis, L’Olonnais fauche un uniforme d’un de leurs soldats morts, file vers le port le plus proche et retourne EN BARQUE à l’île de la Tortue, près de l’actuelle Haïti.  A vue de nez, 1500 ou 2000 bornes.

– Ah quand même.

– Des qui ne comprennent pas trop ce qui leur arrive, ce sont les Espagnols. Ils en sont encore à cuver leurs mojitos pour fêter la mort de l’Olonnais que le brave garçon leur défonce déjà de nouveaux galions, autour de la Havane. Au passage, il y a un gag mignon.

– Oh ooooh.

– L’équipage compte un bourreau, mandaté par les Espagnols pour l’exécuter proprement en cas de capture.

– Il doit adorer.

– A fond. Pour se venger, il fait monter tous les marins espagnols par l’escalier de la cale et les décapite d’un coup de sabre quand leur tête pointe.

– Il se fait tout l’équipage ?

– Ah ça, je compatis, le pauvre : bonjour les courbatures le lendemain, surtout que t’as vite fait de saboter le tranchant de ta lame, c’est chiant à couper, des cervicales.

 – Bon. Ça reste quand même classique.

– Monsieur voit plus grand. L’Olonnais aussi. En 1666, il décide de voir grand. Il lance tout bonnement un débarquement de pirates sur un port de l’actuel Venezuela : Maracaibo. 650 hommes, dix navires et boum, l’Olonnais prend la ville, 4000 habitants tout de même. Pas tout à fit un village, pour l’époque.

– Et il s’y installe ?

– Ben disons qu’il est encore en est encore en train d’y violer des maisons et de brûler des religieuses, ou l’inverse, quand ces sacrés Espagnols lui tombent à nouveau sur le paletot. Qu’à cela ne tienne, l’Olonnais apprend leur débarquement, file à leur rencontre et leur tue 500 hommes en se faisant les ongles. Il en perd 40 à peine avant de retourner à Macraibo pour finir le boulot. Bilan : 100 000 couronnes de bijoux et de bondieuseries très chères. Et 260 000 réaux, tu sais, les fameuses « pièèèèeces de huiiiit ! » du perroquet de Long John Silver dans L’Île au Trésor.

– C’est beaucoup ?

– C’est pas mal, merci. Disons que t’as de quoi viser plus haut.

– Plus haut qu’une ville ?

– Ben oui : un pays.

 – Pardon ?

– Le Nicaragua en l’occurrence, une colonie… ben, espagnole, évidemment. Mais sa flottille est finalement repoussée par les vents le long des côtes. Bon, on pille des peits villages de pêcheurs pour se faire la main, mais c’est un peu la lose ; Et puis hop : on tombe sur un bateau.

– Oh des Espagnols.

– Gagné. Il leur poutre la gueule bien propre en ordre, garde quelques prisonniers en guise de bêtes de somme et fait débarquer tous ses hommes et décide d’entrer au Venezuela à pied, tout simplement.

– Ah.

– Oui et ça ne se passe pas très bien. La nature n’est pas franchement accueillante et pour se détendre les nerfs, ce n’est pas simple. Du coup, l’Olonnais pratique assidûment le yoga et fume des gros pétards.

– u déconnes ?
– Oui. Pour se détendre, l’Olonnais torture un petit peu ses prisonniers. Pas beaucoup, juste le bout, pour goûter. Et comme on savait rire, il leur arrache la langue et découpe des lanières de leur propre chair qu’il boucane ensuite avant de leur faire bouffer.

– Ah il ne pouvait vraiment pas les sentir.

– Nan, hein ? Ceci dit, les tortures ont un semblant de but, à savoir comprendre comment se tirer de ce pétrin en faisant parler ses prisonniers.

– Et ça marche ?

– Pas trop. Du coup il tente une autre approche.

– La douceur ?

– Elle est bien bonne. Non, il ouvre un Espagnol en deux à coups de sabre, sort le cœur de la poitrine, et le bouffe devant ses copains pour leur faire peur.

– J’ai connu plus policé, comme manière de demander son chemin.

– Avant Google Maps, on faisait comme on pouvait, que veux-tu. Mais ce genre de fiestas ne contribue pas à la réussite du projet : pour la première fois de sa vie, l’Olonnais échoue. Oh certes, il prend bien San Pedro mais la ville est vide, les habitants ont eu dix fois le temps de se tailler. Il brûle bien deux ou trois quartiers mais le cœur n’y est pas vraiment. Il sent bien qu’il n’a plus son légendaire mojo. Et dans la piraterie, ça va vite. Affaibli, l’Olonnais en est réduit à faire des promesses et à leur jurer que de grosses prises les attendent un peu plus loin.

– Et ça marche ?

– pas trop. Ils tombent bien sur un gros bateau mais il a des dents, ou plutôt 41 canons. Les hommes de l’Olonnais finissent bien par le prendre mais comment dire…

– Quoi ?

– La cargaison…

– Quoi, enfin ?

– C’est du papier.

– Oh merde.

– Oui, ça fait beaucoup. C’en est fini de la cohésion de la petite armée de l’Olonnais. Avec 3400 fidèles, François erre en attendant une prise qui ne viendra jamais.

– Jusqu’à quand ?

– Jusqu’à la mort. Ils ont fini par s’échouer sur des bandes sableuses, du côté du Yucatan.

Ils s’échouent sur des bandes sableuses au Yucatan où ils se font harceler par les tribus locales.

– Moche.
– Mais il est tout de même mort sous les vivats.

– Pardon ?

– Enfin sous les Bravos, plutôt. Le peuple Bravo, pour être précis, une tribu amérindienne qui a la particularité de ne pas reculer devant la perspective d’un bon festin cannibale, quelque chose de détendu et de rituel, simple et sans chichis. L’L’Olonnais finit réparti dans plusieurs systèmes digestifs. Du moins d’après nos sources, parfois fragiles…

2 réflexions sur « Le type qui faisait peur à Barbe Noire »

  1. Un petit détail en plus : son nom a inspiré à Eiichiro Oda dans son manga One Piece le nom du sabreur Roronoa, décalque de L’Olonnois. Merci pour toutes ces histoires passionnantes !

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