Les hommes du président : Sergeant Boston, the first Avenger

Les hommes du président : Sergeant Boston, the first Avenger

– Parlons un peu d’un héros américain, si tu veux bien.

– Oh, mais moi je suis accommodant et facile à vivre.

– Non, c’est faux Y’a des gens qui nous lisent et qui pensent que c’est vrai, tu sais.

– Naaaaan, vraiment ?

– Mais oui. Les internautes sont naïfs.

– A ce point ?!

– C’est manifestement le moment d’un rappel important.

Ne croyez pas ceux qui prétendent que la citation est d’Einstein.

– Lincoln, encore ?

– Ah oui. Je ne vais certainement pas contester qu’Abraham était un homme remarquable. Et il est évident que John Wilkes Booth est son assassin, donc il a manifestement un rôle central dans l’affaire. Mais ce ne sont pas les seuls individus mémorables de l’histoire de la mort de Lincoln. Je t’ai déjà parlé de son garde du corps, qui préférait aller boire des coups plutôt que de, notamment, garder son corps.

-Je me souviens.

– Abordons maintenant celui qui fut surnommé le Vengeur de Lincoln.

– Tu veux dire, l’Avenger ?

– Exactement. Le premier Avenger. Le soldat. Celui qui ne supportait pas qu’on dise des grossièretés et réprimandait ses camarades pendant les combats si jamais ils se laissaient aller à parler mal.

– Captain America ? Tu es en train de me dire que Captain America a un lien avec l’assassinat de Lincoln ?!

– Quasiment. Dans notre histoire, il s’appelle Thomas Corbett. Corbett est né en 1832, et comme beaucoup d’authentiques Américains de l’époque, il vient d’ailleurs. A savoir Londres. Quand il a 8 ans, ses parents émigrent aux Etats-Unis, et finissent par s’installer à New York. Le jeune Thomas apprend et exerce le métier de chapelier.

– Uh, attends. Chapelier au 19ème, si je ne dis pas de bêtise c’est un métier dangereux.

– Tout à fait. Fabriquer un couvre-chef en feutre implique notamment le recours au nitrate de mercure. Qui contient un élément pour le moins nocif caché dans sa composition. Je te donne un indice, ça commence par « m » et ça finit par « ercure ».

– Le mercure, une belle cochonnerie.

– Effectivement. Par conséquent, la corporation des chapeliers était connue à l’époque connue pour être frappée par un mal particulier, qui se manifestait notamment par des tremblements, psychoses, et hallucinations. Autant de signes des attaques neurologiques des vapeurs de mercure.

– Et c’est l’origine du chapelier frappadingue d’Alice au pays des merveilles.

– Exactement.

L’empoisonnement au mercure, trop drôle.

– Donc Corbett est exposé à un produit nocif. Et puisque cette histoire est celle de l’origine d’un super-héro, j’en conclus que chez lui cela provoque des effets et mutations inédites qui lui accordent des pouvoirs particuliers. C’est le Spiderman ou le Hulk du mercure.

– Euh… C’est peut-être l’origine d’une forme de vigueur peu commune qui jouera indéniablement un rôle majeur dans sa trajectoire. Dans l’immédiat, c’est plutôt le drame.

– Ah, l’épisode tragique de l’acte I du parcours du héros.

– Si tu veux. Thomas se marie, et le couple attend un enfant. Malheureusement, l’accouchement se passe très mal.

– C’est-à-dire ?

– Le pire des scénarios : la mère et l’enfant y restent.

– Merde.

– Je ne te le fais pas dire. Corbett est très affecté, c’est plus que compréhensible, et se met à picoler. Sérieusement. Il devient alcoolique, et se retrouve va savoir comment à Boston, à la rue et sans boulot.

– C’est moche. Boston, je veux dire.

– C’est la déch’, je suis d’accord. Là, un beau jour, ou soir, où il arpente les rues sans doute en marchant un peu en biais, son attention est captée par un prêcheur de rue. Corbett est saisi, capté, il reçoit un appel en ligne directe de Dieu. C’est l’illumination. Il se met alors à fréquenter assidûment les églises, et rejoint des Méthodistes Episcopaux.

Et ça ne s’arrête pas là. Avec un coup de main de Jésus, Thomas arrêt de boire, se réforme, et se fait baptiser. Il prend à cette occasion le nom de Boston Corbett, en référence à la ville qui l’a vu renaître.

– Ha ha, l’identité alternative typique du héros.

– Si tu veux, en attendant give me a Alleluia !

Corbett devient un membre notoire de sa congrégation, par son enthousiasme débordant. C’est le gars qui interrompt régulièrement les prêches, à l’église ou dans la rue, en hurlant  « Gloire à Dieu » ou « Rejoignez le Christ ». A noter qu’il en fait autant dans l’atelier de chapellerie qu’il a rejoint maintenant qu’il est sobre et à nouveau en état de bosser. A chaque fois qu’un collège pousse un juron, propose de boire un coup, ou se comporte généralement d’une façon que notre nouveau dévot trouve impropre à un chrétien, il envoie voler ses outils, se met à genoux, et invite tous ses camardes à prier avec lui.

– Le collègue pas pénible.

– C’est lui. Son enthousiasme est tel qu’il y gagne le sobriquet de « the Glory to God man » au sein de sa congrégation, et les pasteurs vont même jusqu’à « l’encourager » à aller prêcher de son côté plutôt que d’assister à leurs sermons.

– T’es gentil Thomas, mais va plutôt faire du bruit ailleurs.

– C’est ça. Thomas/Boston s’en fiche, Jésus est avec lui. Il décide d’ailleurs d’adopter son look en se laissant pousser la barbe et les cheveux, en s’inspirant des représentations disponibles à l’époque. Il partage son temps entre le boulot et le prêche, s’installant pour ça dans la rue ou les parcs publics. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il prend sa mission à cœur. Un jour, il est abordé par deux prostituées, qui lui proposent un séminaire particulier. Choqué, Corbett refuse, évidemment, et rentre chez lui pour étudier la bible afin de déterminer la conduite à tenir. Il tombe sur l’évangile de Matthieu, qui dit notamment :

« Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne. »

« Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère; il y en a qui le sont devenus par les hommes; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne. »

Ni une ni deux, Boston en conclut qu’il est impératif pour lui de se débarrasser de la source de sa concupiscence impie. Il empoigne une paire de ciseaux et se châtre.

– Il…

– S’auto-castre.

Désolé

A la suite de quoi il va prendre son repas, puis va à la messe, se balade un peu, et décide finalement de passer par l’hôpital.

– Espèce de malade.

– Tout fervent qu’il est, il lui faut quand même quelques semaines pour s’en remettre. Etape suivante, il reçoit une mission.

– Hein, de qui ?

– De Dieu, manifestement. En avril 1861, il déclare à ses coreligionnaires qu’il souhaite s’engager dans l’armée pour aller truffer de plomb un maximum de Sudistes. Son programme est de les appeler à se repentir et à les exécuter. Il rejoint donc la milice de New York, c’est-à-dire la défense de l’état. Ce qui l’oblige à passer chez le coiffeur.

« Comment ça « aimez-vous les uns les autres » ? »

– Oh, bien, un fanatique armé.

– Et que les choses soient claires, Boston Corbett a une conception personnelle de la chaîne hiérarchique : il est là pour obéir à Dieu, pas aux officiers. D’où un comportement militaire plutôt excentrique. Il trimballe évidemment une bible en permanence, et en lit à voix haute des passages à tout bout de champ. Il organise des réunions de prière impromptues sans en référer à personne, et va au front en gueulant des cantiques. Il n’hésite pas non plus à réprimander ses officiers quand ils s’écartent de ce qu’il considère être la parole divine.

– Oh je sens qu’il va se faire des potes.

– Tu ne crois pas si bien dire. Il s’en prend ainsi à un colonel qui a eu le toupet de jurer et « d’appeler le nom du Seigneur en vain ».

– Non mais faut se calmer là.

– C’est bien ce que pense le colonel en question, qui l’envoie au trou le temps qu’il redescende un peu et fasse amende honorable. Sauf que Corbett refuse absolument de présenter ses excuses pour son insubordination, considérant que c’est bien plutôt à l’officier de présenter ses excuses au Seigneur. Et pendant qu’il est au frigo, il entonne des cantiques. Le colonel se lasse et ordonne sa relaxe. Pour autant, à force de foutre la grouille et de refuser l’autorité, il finit devant la cour martiale.

– Ca va mal finir ces conneries.

– De fait, il est finalement condamné à être exécuté, c’est dire s’il avait dû être pénible. Sa sentence est cependant allégée, et il est juste viré de l’armée en août 1863.

– Quelle est la suite du programme ?

– Boston Corbett n’est pas du genre à laisser la décision de quelques hommes se mettre entre lui et sa mission. Il file donc s’engager auprès d’un autre régiment, cette fois dans la cavalerie. Il est ce coup-ci capturé par les Confédérés, puis libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers. Il trouve même le moyen de se faire promouvoir sergent. Et sur ce, coup de théâtre !

– Ah bon, quoi ?

– Ben littéralement un coup au théâtre. Le théâtre en question est le théâtre Ford, et le coup est celui qu’Abraham Lincoln se prend dans la tête. Nous sommes le 15 avril 1865, et le président des Etats-Unis vient d’être assassiné alors que sa garde rapprochée était allée picoler. C’est une grande chasse à l’homme qui est alors organisée pour appréhender John Booth. Le 24 avril, le régiment de Corbett est mobilisé, et lancé sur la piste du tireur, qui serait quelque part en Virginie. Dans la nuit du 26 avril, Booth est localisé dans la grange d’une plantation de tabac. C’est le lieutenant Edward Doherty qui commande le détachement, et ses ordres sont clairs. Ils viennent directement du ministère de la Guerre : il faut capturer Booth vivant.

– Pour pouvoir le juger ?

– Exactement. Le détachement cerne la grange, et commence à négocier la reddition de Booth. Qui n’est pas particulièrement réceptif. Il est alors décidé de foutre le feu au bâtiment pour le forcer à sortir. A travers les planches, les soldats, qui ont reçu l’ordre strict de ne pas tirer, voient une silhouette s’agiter. C’est alors qu’un coup de feu retentit : John Wilkes Booth vient de se prendre une balle dans le crâne.

– Mais enfin quel est le con ?!

– Sergent Thomas « Boston » Corbett, lui-même.

– Mais enfin pourquoi ?

– C’est précisément la question que lui pose un lieutenant Doherty passablement agacé. Les versions varient, mais le sens de la réponse est sans ambiguïté : « la Providence » ou « Dieu tout-puissant » a guidé la main du sergent.

– Oh bordel…

– Corbett est immédiatement arrêté et envoyé à Washington pour passer devant une cour martiale, pour avoir enfreint les ordres. Il est interrogé par le ministre de la Guerre lui-même, Edwin Stanton. Il admet avoir désobéi, et argue que Booth avait souligné son intention de ne pas se rendre vivant. Selon lui, il s’apprêtait à sortir de la grange, et s’il n’avait pas tiré le premier il aurait sûrement reçu un pruneau. Stanton déclare alors que « le rebelle est mort, et le patriote est en vie ». Il demande la relaxe de Corbett, le « patriote ». Il faut dire que la nouvelle a déjà largement circulé, et qu’en tant que l’homme qui a tué l’assassin de Lincoln, le sergent Corbett est considéré comme beaucoup comme un héros. Il est le Vengeur de Lincoln. Il reçoit une partie de la prime promise à celui qui attraperait Booth, et l’armée le remercie pour son service.

– Ce qui veut dire qu’il est viré.

– Il est déchargé, avec honneur.

– Et il devient quoi ?

– Il bourlingue, alternant entre les activités de prêcheur, chapelier, et conférencier invité à parler de son expérience au cours de la Guerre de Sécession, et de son rôle dans la mort de l’assassin de Lincoln. Une façon de tirer un peu profit de sa gloire nationale, qui l’amène à intervenir dans des écoles et églises. Son aura s’estompe cependant assez vite : son comportement est de plus en plus erratique et brusque, et on finit par ne plus l’inviter nulle part. On peut imaginer que les vapeurs de mercure l’avaient déjà bien abîmé, ajoute par là-dessus une expérience de la guerre et de la détention dans un camp de prisonniers réputé pour ses conditions très dures, il était manifestement pas net.

– Ca peut se comprendre.

– Corbett finit par vivre comme un marginal dans le Kansas. Il se dit harcelé, prétend recevoir de nombreuses lettres d’insultes et de menaces, et en vient à proférer que Booth est sans doute encore en vie. En 1887, une âme charitable lui obtient un poste d’huissier au parlement de l’état. Il n’y reste qu’un mois.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Corbett interrompt une session parlementaire en gueulant et brandissant son flingue.

– Mais enfin ?!

– Les versions varient un peu : il aurait soupçonné une quelconque conspiration, c’était son nouveau truc, ou il aurait entendu un membre de l’assistance proférer un blasphème.

– Il va mieux.

– Quoi qu’il en soit, il est arrêté et un juge le déclare dément. Il est alors enfermé dans un asile psychiatrique en 1888.

– Triste fin.

– Comment ça « fin » ? Corbett s’échappe de l’asile et prend la fuite à cheval. Des connaissances qu’ils croisent alors disent qu’il avait l’intention de partir au Mexique, mais sa piste devient difficile à suivre. Pour certains, il se serait noyé dans le fleuve Kansas. D’autres disent qu’il se serait alors installé en forêt dans le Minnesota. C’est la raison pour laquelle il est considéré comme ayant disparu dans le grand incendie de Hinckley en 1894. Son corps n’a jamais été retrouvé, mais en 1954 un témoin de l’époque a raconté qu’il avait croisé un dénommé Tom Corbett, engagé comme chasseur quand l’incendie s’est déclaré, et qui n’aurait pas été capable d’échapper aux flammes. Par la suite, au début des années 1900, un homme a prétendu être Thomas Corbett afin de percevoir sa pension d’ancien combattant, mais il a été assez facilement reconnu comme un imposteur. La trace du Vengeur s’arrête là.

« Il est mort. Il est absolument, définitivement, totalement mort. Inutile de chercher. »

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