Halley, creuse (Allez Halley, épisode 2)
Nous reprenons l’histoire du remarquable Edmond Halley. Vous êtes chaudement invités à vous reporter préalablement à la première partie.
– Tu vois, ce qu’il y a de bien avec Edmond Halley, c’est qu’en plus il nous apprend la modestie.
– Dans quel sens ?
– Eh bien nous sommes encore loin d’avoir fait le tour de tous ses travaux, mais je pense que nous pouvons convenir qu’’il n’était pas particulièrement idiot.
– Ca me semble le moins que l’on puisse dire.
– C’était un homme brillant, qui a réalisé des premières et des découvertes, mais il s’est aussi trompé à l’occasion. Il n’était pas infaillible non plus, même quand ses idées étaient justes.
– Il va falloir que tu me donnes des détails.
– Edmond s’est intéressé aux océans, et il a vu juste. Il s’est intéressé aux cieux, et il a eu raison. Il s’est également intéressé à la Terre, et là, bon, il est un peu passé à côté.
– Ca semble d’autant plus étrange que des trois, c’est le plus simple à observer et étudier.
– Oui et non. Tu as raison, le sujet était mieux connu et il l’avait directement sous la main. Ou plutôt les pieds. Mais quand je dis qu’il s’est intéressé à la Terre, ce n’était pas simplement le champ d’à côté. Halley a cherché à percer les mystères du globe terrestre lui-même.
– Il a fait dans la géophysique ?
– Exactement. Il a littéralement cherché à comprendre de
quoi était faite la Terre. Et quand tu sais qu’à ce jour le trou le plus
profond creusé par l’homme a atteint 12 km sur la surface[1], soit un peu moins d’un
millième du diamètre du globe, tu imagines bien qu’il partait de loin.
– Mais, il cherchait quelque chose ?
– Oui. En fait, tout ça remonte à ses expéditions maritimes.
– Il a trouvé une carte au trésor ?
– Non, enfin pas qu’on sache. Mais il a un peu perdu le nord.
– Comment ça ?
– Ca n’était pas que lui. Tout le monde perdait un peu le nord.
– Euh, moi aussi là.
– Bon, à l’époque, la navigation était une histoire de boussole, de sextant, et de pendule[2]. Laissons ces deux derniers instruments pour une autre fois, et focalisons-nous sur la boussole. Je ne te ferai pas l’affront de rappeler à quoi sert une boussole.
– A indiquer le nord.
– Exact. Mais c’est le nord magnétique. C’est-à-dire le pôle nord du champ magnétique terrestre. Qui n’est pas exactement le même que le pôle nord géographique, c’est-à-dire le point sur une carte où se rejoignent tous les méridiens.
– Ah mais attends, t’as pas parlé de cartes de la déclinaison magnétique, qui avaient pour objet de relever cet écart sur différents points du globe ?
– Mais si, précisément. Cet écart entre les deux nords est tout sauf un facteur de simplification quand on navigue, en plus d’être un mystère en soi. Edmond s’est donc penché sur la question.
– Et alors ?
– Et alors en 1692, il publie une théorie. Dont tu as entendu parler.
– Alors j’ai déjà entendu parler de beaucoup de théories, et je te passe les plus farfelues.
– L’intéressant avec celle-ci, c’est qu’elle est devenue une théorie farfelue, même si à l’époque elle était loin d’être idiote. La théorie de Halley, c’est la Terre creuse.
– Nooon… sérieux, la Terre creuse ?
– Eh oui. Celle-là même qui va connaître une postérité qui ira de la gentille fiction (Jules Verne) au plus complet n’importe quoi (les hommes-taupes, par exemple). Mais une fois encore, la théorie de Halley n’est pas une élucubration dénuée de fondements.
– Convaincs-moi.
– Edmond observe que non seulement le nord magnétique ne correspond pas au nord géographique, mais qu’en plus il se déplace. Y compris au cours de la journée, d’ailleurs.
– Sérieux ?
– Mais oui. Edmond en conclut donc que le pôle magnétique se
déplace en raison de mouvements à l’intérieur du globe. Par ailleurs, son ami
Newton a calculé dans ses fameux Principes
que la Lune est plus dense que la Terre. Ce en quoi il s’est planté, mais
Halley en conclut que le globe est creux, et contient trois sphères, qui
tournent sur elles-mêmes selon le même axe que la Terre.
Ses sphères internes avaient selon lui la taille de Venus, Mars, et Mercure, par ordre décroissant. Elles seraient maintenues en place par la gravité, et surtout elles disposeraient elles-mêmes d’un champ magnétique, en raison de la présence de métaux magnétiques dans leur composition. Ces différentes coquilles tournant chacune à sa vitesse propre, leurs champs magnétiques ne sont pas toujours alignés, d’où les variations du champ général ressenties sur la surface. Il va même jusqu’à expliquer les aurores boréales par des émissions de gaz s’échappant de ces différentes sphères (autrement dit il imagine qu’elles viennent d’en-dessous, ce qui est l’exact contraire de la réalité).
– Oui, bon, pour l’époque c’est pas totalement idiot.
– Loin de là. Il a même raison sur plusieurs points, en fait.
– Tu vas jusque-là ?
– Ce n’est pas moi. La Terre n’est pas creuse, mais elle est de fait constituée de plusieurs couches.
Et ce sont les mouvements du noyau, qui contient beaucoup de métal en fusion, qui provoquent ceux du champ magnétique terrestre, jusques et y compris ses inversions.
– Ses inversions ?
– Oui, à échéances régulières le champ magnétique terrestre fait un peu n’importe quoi : il s’affaiblit, voire disparaît à peu près complètement, bouge erratiquement (les pôles peuvent se trouver à peu près n’importe où), et peut finir par s’inverser, c’est-à-dire que le pôle (magnétique) nord passe au sud et vice-versa.
– A échéances régulières ?
– Disons plutôt que ça arrive relativement fréquemment. Genre 300 fois au cours des derniers 200 millions d’années, dont la dernière fois il y a 780 000 ans. Mais ce n’est pas à proprement parler régulier, on ne sait pas quand arrivera la prochaine transition/inversion. De fait, l’intensité du champ magnétique terrestre diminue depuis environ 1 500 ans. Elle a même baissé de 10 % sur les 50 dernières années.
– Ha. Mais euh…comment dire…on en a un peu besoin du champ magnétique terrestre.
– Ah ben oui. Disons que s’il s’affaiblit beaucoup, voire disparaît même pendant une courte période, va falloir sortir la crème solaire à gros indice. On sera nettement moins protégés contre les rayonnements solaires et cosmiques.
-Uh.
– Oui enfin il va pas non plus disparaître d’ici demain, hein. Et puis il y a une leçon à retenir de tout ça.
– A savoir ?
– Ce sont les mouvements de convection au cœur du globe qui rendent possible la vie à sa surface.
– Ah, d’accord, je te vois venir.
– Nous devons notre existence à une boule en fusion de fer et de nickel.
– Ok, allez, vas-y, fais-toi plaisir…
– Le Metal est indispensable à la vie ! Sans le Metal, nous ne serions pas !
– On peut en revenir à Halley ?
– Certes. Donc Edmond s’est planté, mais il avait des intuitions assez justes. Aussi, Newton lui a dit des âneries. Ce qu’il faut retenir c’est que non, la Terre n’est pas creuse, mails il ne faut pas non plus blâmer Halley pour tous les fondus qui ont imaginé, et plus affligeant qui imaginent encore, qu’il y a tout un monde habité sous la surface. D’ailleurs, tu savais qu’une authentique expédition au centre de la Terre avait été appuyée par le président des Etats-Unis ?
– J’imagine que tu parles de l’actuel ?
– Non. Enfin pas que je sache, je ne sais pas ce qu’il a encore pu élucubré depuis une heure. Je parle d’un de ses prédécesseurs, John Quincy Adams, président entre 1825 et 1829. Après des années de lobbying auprès du Congrès sans grand succès, parce que l’idée de la Terre creuse avait déjà pas mal de plomb dans l’aile, deux « explorateurs » réussissent à avoir l’oreille du président. Cependant Adams ne fait qu’un mandat, et il est remplacé avant qu’ils se soient mis en route.
– Donc je retiens que la Terre creuse chez Halley, c’était pas si idiot, au contraire.
– Voilà. Bon en revanche pour Stonehenge je ne peux rien pour lui.
– Quoi ? Stonehenge ?
– Oui. En 1720, alors qu’il est devenu prof à Oxford, Edmond et un pote à lui, un antiquaire, se mettent en tête de dater Stonehenge. Ils partent du principe que l’ensemble a été assemblé avec un compas magnétique, et ils s’efforcent de calculer la date en fonction des déviations du champ magnétique terrestre, on y revient, qui sont intervenues depuis. Ils aboutissent à l’année -920. Ce en quoi ils se plantent au moins d’un bon millénaire.
– Là, quand même, faut reconnaître que c’est un échec.
– Oui. Encore que, utiliser ce genre de méthode pour une datation historique, c’est une idée nouvelle.
– En fait il est agaçant ton Halley. Même quand il se goure, il est pas loin d’avoir raison.
– Ben oui. Je sais. Et ce n’est pas facile tous les jours. Crois-moi.
– Mais oui bien sûr.
[1] Le forage profond de Kola, ou forage sg3, réalisé entre 1970 et 1989 en Russie.
[2] Au sens horloge, pas un bidule qui pendouille.