Cette histoire est parfaitement pourrie

Cette histoire est parfaitement pourrie

– Sam, est-ce que les sujets morbides te font peur ?

– Mec, j’écoute du metal. Les pochettes d’album, ça montre plus souvent des zombies cannibales en putréfaction que des chatons avec des cœurs tous roses.

Alors que ça fout beaucoup plus les jetons.

– C’était purement rhétorique, tu sais, c’est surtout pour prévenir nos lecteurs préférés que ça risque de roxer un peu, quelques lignes plus loin.

– Je te sers de faire-valoir rhétorique, en gros. Merci, vraiment, on se sent aimé pour ce qu’on est.

– Absolument pas. Tu sais que ça n’est pas ça, enfin.

– Bon, si tu le d…

–  Non, tu me sers de panneau indicateur. Quelque chose comme « ATTENTION CADAVRES ».  

– Tu as le fond méchant, tu sais.

– Tu rigoles, je suis un agneau au cœur tendre. Allez fais pas la gueule : je t’emmène en Italie, et mieux que ça : la baie de Naples, en pleine Campanie. Tu situes ?

– Grosso modo. Au milieu de la Botte, côte Ouest ?  

– Bravo. On est pile en face de Pompéi, sur une petite île minuscule à côté de l’île nettement moins minuscule d’Ischia. Et sur ce tout petit brimborion de rocher volcanique, on trouve ça.

– C’est médiéval.

– Tout juste : c’est le château Aragonais, bientôt six siècles d’existence. Il s’élève à 115 mètres au-dessus de la flotte tout de même.

– Ben non.

– Comment ça ben non ?

– Il ne peut pas être aragonais vu qu’il est italien et que l’Aragon c’est en Espagne TU ME BOURRES LE MOU.

– Il a été fondé par le roi Alphonse V à un moment où la couronne d’Aragon tenait à peu près la moitié de la Méditerranée centrale, patate. C’est pour ça que tu as un château aragonais en plein milieu de la baie de Naples, pile à l’endroit où toutes les puissances méditerranéennes successives ont construit des forteresses. Stratégiquement, c’est l’endroit idéal pour protéger la baie.

– Tu peux le dire gentiment, tu sais.

– Oui, je pourrais. Et le Fonfonse, il ne s’est pas contenté de construire un château, il a aussi relié la petite île à la grande en construisant un pont de pierre qui sert toujours aux touristes aujourd’hui.

– Mais c’était un gros truc ?

– Pas mal, merci. Du 16e au 18e siècles, il y avait dans les 2 000 familles dans le château. Au début du 17e, on y trouve une garnison, une abbaye, treize églises et un couvent de clarisses.

– Un couvent de … ?

– De clarisses.

– C’est un couvent où tout le monde s’appelle Clarisse ?

– C’est un ordre créé par Claire d’Assise en 1212, tête de slip, d’où le nom de clarisses. On les appelle aussi les Cordelières ou l’Ordre des Pauvres Dames, parce que les clarisses sont en quelque sorte la version féminine des franciscains, un ordre mendiant comme tu ne l’ignores pas. Sur l’île, le couvent accueille les femmes de la noblesse locale à partir de 1576. Elles vivent sur l’île et le plus souvent, elles y meurent.

– C’est bien triste mais c’est notre lot commun à tous, nous ne sommes que poussière et j’imagine qu’on les enterre avec une petite messe avant de se faire une bonne bringu…

– Merci Jean-Michel Philosophe, mais justement non, on ne les enterre pas.

– On les crame ?

– Nope.

– Ben qu’est-ce qu’on en fait, on les empaille ?

– Non, ça, c’est réservé au président algérien en exercice. En fait, on s’en sert dans un but pédagogique.

– Pardon ?

– Ouaip. Le couvent organise des espèces d’exposition de nonnes mortes.

– Kégnégné ?

– Parfaitement. Il existe une pièce spécialement destinée à ça, d’ailleurs, le putridarium. Je te donne pas de détails d’ordre étymologique ?

– Non, ça ira. Et ça marche comment ?

– Tout seul. En gros, ça consiste à installer les braves défuntes bien confortablement sur des sortes de sièges taillés dans la roche. Tiens ça ressemble à ça.

A la lueur des torches, ça devait créer une bonne ambiance.

– Tu te fous de ma gueule, c’est une photo de latrines, ça. Des bonnes vieilles chiottes.

– Alors ça y ressemble mais non. Ce sont des scolatoi, des chaises percées. Chaque clarisse qui meurt dans le couvent est installée là et on laisse le temps s’écouler.

– Et il n’y a pas que lui qui s’écoule, j’imagine.  

– Voilà. Petit à petit, la nature suit son cours et les dames, comment dire ça sans faire dans le morbide… Disons qu’elles se tassent petit à petit et que tout ce qui est fluide s’échappe vers le bas jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les os.

– C’est infâme, putain.

– Et attends d’y repenser cette nuit, vers trois ou quatre heures du matin. Bon, faut admettre que c’est spécial. Tout ce qu’il y a de naturel, mais spécial.

– Mais elles se putréfient sur place, comme ça ?

– Oui. Et ça peut durer plusieurs mois, en fonction de la saison. Ensuite, on récupère les os, on gratouille les bouts qui restent, on rince bien à fond et les sœurs rejoignent l’ossuaire du couvent où on les laisse tranquille une bonne fois pour toutes ce coup-ci.

– MAIS POURQUOI NOM DE DIEU.

– Tu n’invoqueras pas le nom de l’Éternel en vain, Sam. Je t’ai dit : c’est pédagogique.

– Attends, finalement, je ne suis pas sûr de vouloir que tu m’expliques.

– Ne fais pas l’enfant, c’est scientifique. En fait, ça servait de cours de philo. Les nonnes vivantes se rendaient régulièrement dans le putridarium pour y méditer sur la brièveté de la vie et la vanité des choses terrestres.

– Non mais tu déconnes.

– Pas une seconde. En contemplant la transformation des corps de leurs sœurs, les clarisses étaient censées s’accoutumer à l’idée de leur propre fin terrestre. Vois ça comme un apprentissage de la purification, un entraînement mental à se libérer de ta guenille de chair mortelle pour se concentrer sur ton âme immortelle.

– Ce n’est pas mon âme immortelle qui meurt d’envie de te dégueuler tripes et boyaux sur les grolles, si tu veux.

– Tu es incapable d’élever ton esprit vulgaire vers des horizons ineffables, à ce que je constate.

– Je te fais pipi dessus. Bon, et elles font toujours comme ça, les clarisses ?

– Ah non. Après le concile de Trente, l’Église a commencé à freiner sur les pratiques funéraires les plus cheloues. Ceci dit, c’est resté un rituel un poil confidentiel mais assez tenace jusqu’à la fin du 19e siècle, quand l’État a fini par siffler la fin de la récré au nom de principes sanitaires encore inconnus deux siècles plus tôt.

– Bien. Très bien. Sinon, pour la facture, tu me règles comment ?

– Quelle facture ?

– LA FACTURE DE MON PUTAIN DE PSYCHIATRE A QUI JE VAIS PARLER DE NONNES PUTRÉFIÉES PENDANT SIX MOIS.  

Après, s’il s’agit de trouver la meilleure manière de faire disparaître des Clarisse, on a d’autres suggestions.

13 réflexions sur « Cette histoire est parfaitement pourrie »

      1. Ha ! Il me semblait que cette histoire de grandes pompes se passait en Calabre ou dans les Pouilles.
        Les clarisses, c’est bien connu, elles aimaient les bancs en glaise.
        Et finalement, quand la nonne est stressée, Padre bio l’apaise…

  1. Ha ! Il me semblait que cette histoire de grandes pompes se passait en Calabre ou dans les Pouilles.
    Les clarisses, c’est bien connu, elles aimaient les bancs en glaise.
    Et finalement, quand la nonne est stressée, Padre bio l’apaise…

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