La vérité est ici

La vérité est ici

– Mais…qu’est-ce que c’est que cet endroit ? Sérieusement, un parking ! Pffff, il va pas mieux. Et en pleine nuit, en plus. Bon, alors…3e sous-sol, on y est. Evidemment, fait noir. Hé oh ? Y’a quelqu’un ?

– Par ici.

– Alors si tu crois que je vais me guider à la voix dans un endroit où on voit rien. Je ne suis pas une chauve-souris, moi. Attends que je trouve l’interrupteur…

– Non, surtout pas ! Un instant…

*scratch*

– C’est…qu’est-ce que ?

– Le point rouge, tu le vois ?

– Vaguement.

– Bouge pas, je tire dessus. Seigneur, mais c’est ignoble ! Y’a vraiment des gens qui se mettent ça dans les poumons ? Volontairement ?

– Sois pas ridicule, tu fumes pas. Tu vas me dire un peu ce que signifie tout ce cinéma ? Je t’en ai fait faire, des trucs idiots, mais là tu vas loin quand même, mon cher…

– Chut, pas de noms ! Nous sommes là incognitos. En fait, non, nous ne sommes pas là.

– Ah oui, carrément. Et donc, pourquoi ?

– Parce que j’ai des informations des plus sensibles. Critiques. Explosives.

– Je ne sais pas ce que tu as déterré, mais c’est fini. Je m’en fiche. J’assume. J’étais jeune, j’avais faim, c’est comme ça et pour être honnête je ne regrette rien.

– Tu…ah oui ? Ok, faudra que je cherche alors, c’est pas du tout ce que j’avais en tête.

– Je bluffais.

– Certainement.

– Donne-moi ce carnet.

– Non. Ca suffit maintenant, nous avons plus sérieux à discuter.

– Mais quoi, à la fin ? Qu’est-ce qui justifie que tu me convoques en pleine nuit au milieu de rien ?

– J’ai pris toutes ces précautions parce qu’il nous faut parler de l’incident. Pardon, l‘Incident.

– Mais oui, bien sûr, le incident. Je ne vois pas du tout.

– Tu le fais exprès. Juillet 1947. Le Nouveau-Mexique. Un truc tombé du ciel.

– Aaaaaah, tu veux dire ROSWELL ?

– Mais veux-tu bien parler moins fort !

– Enfin attends, il est faisandé ton tuyau. Quoi, tu vas me dire qu’aucun ovni piloté par un extra-terrestre ne s’est écrasé ? Qu’en fait c’était un ballon météo ? La belle affaire, voyons, on le sait ça, quand même.

– Ah oui ?

– Ben…oui. Désolé pour ton petit effet, hein, ce n’est pas que je n’apprécie pas l’effort de mise en scène, mais là je crois que je vais gentiment retourner me coucher. Sans rancune.

– Fort bien. Je comprends que tu préfères en rester à la thèse du ballon météo. Comme tu veux.

– Comment ça ?

– Non non, je n’insiste pas. Si ça te t’intéresse pas de savoir que cette histoire était elle-même une couverture, je respecte ton choix.

– Une couverture ? Pour cacher le crash d’un vaisseau d’une autre planète ?

– Bien sûr que non, banane. Une authentique opération militaire relevant du plus haut secret.

– Tu me fais marcher ?

– Point. Alors, tu vas peut-être rester un peu ?

– Ok. Je t’écoute.

– Tu vas d’abord me faire le plaisir de mettre ça.

– Ah non !

– C’est non négociable. Ca t’apprendra à douter.

Le modèle avec des grelots, tout à fait.

– Tu es content ?

– Plutôt, oui. Maintenant, reprenons. Que sais-tu de ce qui s’est passé en juillet 47 du côté de Roswell, Nouveau-Mexique ?

– Euh…suffisamment pour que ça devienne un pilier des théories complotivo-extra-terrestres ?

– Oui mais tu sais ces braves gens il ne leur faut pas forcément grand-chose. Donc, le samedi 5 juillet 1947, un fermier du nom de Brazell se rend dans la bourgade la plus proche de son ranch.

– Roswell, donc.

– Pas du tout. Le bled en question s’appelle…Corona ! C’est pas un signe ça ?

– Euh…non ?

– Non, en effet. Brazell discute avec ses voisins au sens large de trucs bizarres dans le ciel. Et le lundi qui suit, soit le 7, il se rend au bureau du shérif le plus proche, ce coup-ci à Roswell. Il lui remet les débris d’un objet non identifié, qui a dû être volant à un moment donné puisqu’il s’est manifestement écrasé sur ses terres. Le shérif contacte la base aérienne qui se trouve à proximité, et cette dernière dépêche un officier pour enquêter. Le 8, l’armée publie un communiqué selon lequel notre brave rancher a manifestement trouvé les débris d’un « disque volant », et le lendemain un second communiqué indique qu’il s’agissait d’un ballon utilisé par une station météo.

– Mensonge !

– Eh bien, je dois bien reconnaître que…oui. A minima, c’est un arrangement avec la vérité.

– Mais oui, bien sûr ! On la connaît la vérité : un visiteur d’un autre bout de la galaxie, un atterrissage malheureux, l’armée qui récupère les vestiges de l’aéronef pour ses recherches secrètes, et aussi le corps du malheureux visiteur. A moins qu’il ne soit toujours en vie…

– Ouais, alors du calme Mulder. L’armée n’a pas tout révélé, c’est le moins qu’on puisse dire, mais pas besoin d’aller chercher une explication au-delà du système solaire. Va falloir oublier ces fantaisies de machins tombés du ciel, et autres créatures remisées dans des hangars secrets.

Rien de plus simple. Regardez la petite lumière.

Mais d’abord, soyons précis et recensons exactement ce que notre brave fermier a retrouvé. Selon ses déclarations, Brazell tombe sur : des morceaux de papier, ce qui ressemble du film aluminium, des espèces de baguettes en bois, des débris métalliques, et des bouts de ce qui s’apparente à une matière caoutchouteuse.

– Oui, alors excuse-moi, c’est que qu’on lui permet de dire, et avec ça tu vas m’expliquer qu’il est sans plus facile de construire un cerf-volant qu’un vaisseau inter-planétaire. On ne me la fait pas.

– Le témoignage de Brazell est manifestement tellement caviardé que l’armée laisse passer ses propos selon lesquels les débris de l’ovni portent également des signes étranges, des formes d’idéogrammes inconnus, de type hiéroglyphique.

– Je suis content de voir que la vérité perce en dépit des complots pour l’étouffer.

– Uh uh. Maintenant laisse-moi te poser une question : sais-tu ce que sont les fusen bakudan ?

– Je ne parle pas l’extra-terrestre.

– En l’occurrence c’est du japonais. Et ça signifie « ballons de feu ».

– Ha ha ! Nos amis nippons ont eux aussi observé les nefs étranges et embrasées venues d’un autre monde.

– Quand tu voudras bien arrêter de lancer des âneries à tout bout de champ, je pourrai peut-être t’en dire plus.

– C’est l’enthousiasme légitime de celui qui s’apprête à poser enfin les yeux sur une vérité cachée.

– Eh bien retiens ton allégresse deux minutes. Les ballons de feu sont un sujet qui devrait t’intéresser quand bien même il est tout ce qu’il y a de plus terrestre. Enfin aérien. Je veux dire terrien. Sauf erreur, c’est bien toi qui avait mis le doigt sur cette histoire d’attaques alliées contre l’Allemagne à coups de ballons incendiaires lâchés au-dessus de la Manche ?

– Ah oui, je confirme.

– Les fusen bakudan, c’est la même chose version japonaise. C’est comme ça que l’Empire a mené des attaques sur le territoire continental des Etats-Unis.

– Attends, ils ont fait ça ?

– Techniquement, oui. Disons qu’ils ont lancé des attaques, mais qu’elles ne sont pas toutes arrivées, loin s’en faut. Le mode de projection n’était pas d’une efficacité stupéfiante. Vois-tu, comme nous avons déjà eu l’occasion de le démontrer ici, les ballons et dirigeables sont véritablement des machines absolument admirables. Qui à l’époque où on vole encore à l’hélice et à des altitudes modestes, offrent des possibilités uniques. Ainsi, les militaires japonais se disent qu’en utilisant le récemment découvert jet stream, un courant atmosphérique de haute altitude (entre 9 et 10 km), il doit être possible de faire dériver un ballon depuis l’archipel jusqu’aux Etats-Unis. Par la vertu du jet stream, on peut espérer boucler le trajet en trois jours.

– Pas mal pour un objet inerte.

– Carrément. Et à partir du moment où le ballon a atteint l’Amérique, on peut y lâcher des bombes. Alors qu’y envoyer des bombardiers serait une toute autre paire de manches. C’est donc le principe du programme Fu-Go.

– Je ne nie pas que c’est dangereux, mais comment voulez-vous les forcer à en manger ?

– Fu-GO, mon commandant.

Ce sont de grands ballons à l’hydrogène, ce qui est évidemment plus pratique qu’un aérostat à air chaud, mais pose quand même quelques difficultés techniques puisqu’en fonction de la température, qui varie entre le jour et la nuit, le gaz se dilate ou se contracte, ce qui affecte l’altitude du ballon.

– Faudrait pas sortir du jet stream.

– Par conséquent, un système électronique était installé pour lâcher du lest en fonction de l’altitude, ou au contraire purger un peu d’hydrogène s’il montait trop haut. De la même façon, il y a un système de largage des charges après trois jours, la durée estimée du trajet, avant d’allumer une mèche pour détruire le ballon lui-même.

Konichuwa, motherfuckers

Au total, à partir de novembre 1944, les Japonais ont envoyé un millier de ballons Fu-Go vers le Canada, les Etats-Unis, et le Mexique. Ils ont atteint 16 états américains, et causé en tout et pour tout la mort de…6 civils dans l’Oregon en mai 1945. Je veux dire c’est évidemment dramatique pour eux, mais comment dire…

– Pour ce qui est d’une grande offensive contre le cœur des Etats-Unis, c’est pas retentissant.

– Non. C’est un pétard mouillé qui vole à 10 km d’altitude. Ca fait d’autant moins de bruit que les médias ont convenu de garder ça sous le manteau, parce que l’effet psychologique aurait sans doute été beaucoup beaucoup plus grand que le réel danger, de toute évidence et comme on avait pu le constater avec d’autres modes d’attaque japonais non conventionnels.

– Ouais ben décidément les ballons bombardiers c’est pas ça, je crois qu’on peut définitivement remiser l’idée.

– Oh que non. Début 45, l’armée US est informée d’observations et d’explosions de ballons sur toute la façade pacifique. Elle en récupère, et les étudie. Et en tire une idée assez rapidement, quand elle cherche à espionner l’Union Soviétique lorsque la guerre passe de chaude à froide. A ce moment, les ballons possèdent des propriétés que n’ont pas les avions, et qu’il faudra attendre les satellites pour retrouver ailleurs : ils peuvent rester en mission pendant des semaines, atteindre de hautes altitudes, et survoler des zones trop dangereuses pour des appareils pilotés.

– La patrie du socialisme triomphant, par exemple.

– Par exemple. Au hasard. En 1947, l’Air Force lance donc le projet Mogul, qui vise à réaliser des missions de surveillance de l’URSS. Des ballons qui sont pour partie conçus par un scientifique venu d’Allemagne, parce que quand tu as un projet militaire secret qui va donner naissance à une théorie du complot, y’a des figures obligées.

– Donc encore un chercheur au passé discutable exfiltré d’Allemagne en 45 ?

– Non, du tout. Otto Winzen est bien un scientifique né en Allemagne, mais il est venu aux Etats-Unis en 1937, à 20 ans. Ingénieur aéronautique, il est contacté par le fameux Suisse Jean-Félix Piccard, figure à la fois de l’étude de l’atmosphère et des vols stratosphériques.

– De la famille du Piccard qui a fait le tour du monde en ballon puis en avion solaire ?

– Tout juste, c’est son grand-oncle. A l’époque, il cherche à développer des ballons de très haute altitude pour des études atmosphériques. L’objectif est de concevoir un ballon habité en cellophane, en fait une grappe de ballons, pour aller faire de la recherche à plus de 30 km. C’est le projet Helios. Mais la cellophane c’est pas optimal, donc Picard et Winzen bossent sur le polyéthylène, un polymère de plastique qui résiste bien aux rayonnements ultra-violets, ce qui évite que l’enveloppe du ballon se désagrège dans la haut atmosphère. Par conséquent, la construction d’Helios est confiée à une entreprise spécialisée dans l’utilisation de ce type de plastique pour…emballer de la nourriture. C’est ma deuxième carte conspirationniste, puisqu’on parle du poids lourd de l’agroalimentaire General Mills.

– Le groupe qui vend des glaces avec un nom que tu sais jamais comment il s’écrit et des boîtes de maïs avec Hulk dessus ?

– Exactement.

– Et ils vont fabriquer des ballons espions ?

– En quelque sorte. C’est pas comme si les fabricants de céréales n’avaient jamais eu des projets discutables, hein. General Mills crée en 1946 sa division de recherche aéronautique, et recrute Otto Winzen comme ingénieur-chef.

« Oui ben allez donc voir ce qu’ils font à la division sciences appliquées de chez Wayne Industries, hein. »

Il y développe donc les ballons en polyéthylène, même si le projet Helios est abandonné en 1947. Cependant les travaux sont repris par l’armée.

– Donc ton projet Mogul il sort d’une boîte de céréales.

– En quelque sorte, ça c’est la technologie. Le fondement théorique, lui il vient de… ?

– Ben, euh, les ballons ? La recherche atmosphérique ?

– Pas du tout, la recherche océanographique menée par la Navy pendant la Seconde Guerre. Il s’avère qu’à certaines profondeurs bien précises, il existe des canaux sonores qui permettent aux sons de circuler tout autour du globe. Semblerait d’ailleurs que les grands cétacés s’en servent pour communiquer à grande distance.

Le fameux appel de Cthulhu.

Un réseau d’hydrophones placés à la bonne profondeur permet une surveillance sonore mondiale, pour repérer des communications, des sous-marins, ou des essais atomique sous-marins.

– Ok, et le rapport avec les ballons ?

– L‘idée est qu’il existe de la même façon un canal de diffusion sonique aérien. Il serait donc possible, en se positionnant à la bonne altitude, de mettre en place un réseau d’écoute atmosphérique pour détecter les explosions nucléaires et les tests balistiques soviétiques. Cela implique de maintenir ces stations d’écoute à la bonne altitude, d’où l’intérêt de développer les systèmes de contrôle mis au point par les Japonais. C’est ce sur quoi Mogul travaille entre 1947 et 1949, alors qu’à partir de 1948 la Navy mène le programme Skyhook pour étudier la haute atmosphère, autour de 30 km d’altitude, et les rayons cosmiques.

– On joue beaucoup au ballon dans l’armée américaine à la fin des années 40.

– Effectivement, sachant qu’il ne faut pas forcément imaginer des aérostats de type montgolfière, des ballons uniques. Les ballons Skyhook ressemblent à ce modèle, c’est visuellement comme un ballon-sonde classique qui décolle encore peu gonflé avant que l’altitude provoque l’expansion du gaz dans l’enveloppe, mais c’est différent pour Mogul. Quand il faut envoyer des centaines de kilos d’instruments, ce sont plutôt de grandes grappes de plusieurs dizaines de ballons. En 1950, le projet Mogul est converti en programme Gopher : maintenant que le concept a fait ses preuves, il s’agit bel et bien de lancer des ballons de surveillance de l’Union Soviétique. Et comme des ballons de ce type c’est quand même pas particulièrement discret, l’Air Force lance dans le même temps, en guise de couverture, le projet non classifié Moby Dick, un programme de recherche sur les ballons atmosphériques.

Il ne s’agit évidemment pas de baleines volantes de guerre extra-terrestres, soyons sérieux.

– C’est…euh, la baleine qui cache la forêt.

– C’est l’idée. En juillet 1953, le programme Gopher débouche sur le prototype de ballon de surveillance Grandson, Petit-fils, et au moment de passer aux tests opérationnels on change encore de nom et ça devient le projet Grayback. Une centaine d’essais est menée sous la couverture de Moby Dick, qui a le dos large ça tombe bien, puis en janvier 1956 le président Eisenhower approuve les vols au-dessus de l’URSS. Mais en limitant strictement l’altitude à 17 km.

– Pourquoi donc ? S’ils ont des ballons qui vont jusqu’à 30 km, c’est mieux pour tout voir non ?

– Oui, mais il ne fallait pas donner aux Soviétiques de raisons de développer des moyens de détection au-delà alors que le projet d’avion espion U2 était en cours de développement. Comme on est partis, tu veux encore des noms d’opérations ?

– Je t’en prie.

– Une trentaine de ballons de recherche est envoyée en guise de couverture depuis Hawaï, l’Alaska, et Okinawa entre janvier et juillet 1956, c’est l’opération Nuage Blanc. En parallèle la véritable opération, Genetrix, envoie dans l’atmosphère plus de 500 ballons. 380 atteignent l’espace aérien soviétique, 300 sont abattus ou s’écrasent, et au final 44 nacelles photographiques seulement sont récupérées. Leurs photos ne couvrent que 8 % des territoires soviétiques et chinois, et au final ne fournissent que peu d’informations utiles.

– Bien la peine, quand je dis que les ballons c’est pas efficace.

– C’est même pire, puisque l’URSS a beau jeu de publier des photos des équipements en annonçant au monde qu’il ne s’agit pas de matériel scientifique mais bien de surveillance. Les Soviétiques dénoncent l’espionnage américain de leur territoire. La CIA, qui s’apprête à faire décoller ses U2, demande instamment à l’Air Force de mettre un terme au programme Genetrix en février 56.

– On peut parler d’un échec.

– Pas complètement. Le système de récupération des clichés sera utilisé par la suite pour les premiers satellites espions US. En outre, Genetrix fournit un résultat inattendu. Il se trouve que les armatures des ballons reçoivent des échos de signaux non répertoriés, ce qui permet aux ingénieurs de l’Air Force de déterminer les fréquences du radar soviétique secret TOKEN.

– Donc ils n’ont pas vu ce qu’ils voulaient, mais ils ont observé ce qu’ils n’attendaient pas.

– C’est ça. Par ailleurs ce programme a permis la mise au point, dans tous les sens du terme, d’appareils et de pellicules photos de grande qualité pour les clichés à haute altitude. Que les Soviétiques récupèrent depuis les ballons Genetrix tombés ou abattus sur leur territoire, et utilisent pour prendre le premier cliché de la face cachée de la Lune.

– C’est beau cette coopération internationale.

– En 1957 encore, l’Air Force mène le projet Ashcan, qui utilise des ballons de type Skyhook à des altitudes de 30 km afin de recueillir des échantillons atmosphériques à la recherche de traces de tests nucléaires soviétiques, en particulier du plutonium.

– Oui, tout ça c’est bien joli, mais si tu crois avoir réussi à noyer le poisson avec tes histoires de cachalots volants, tu te mets le doigt dans l’œil assez profondément. Revenons à Roswell.

– Avec plaisir. Comme on l’a vu, c’est le 7 juillet que Brazell vient raconter son histoire au shérif. Mais c’est en fait le 14 juin qu’il a trouvé les débris sur ses terres. On peut déjà en conclure que la découverte ne l’a pas bouleversé au point de chercher à contacter les autorités dans les plus brefs délais. Sauf à ce qu’il soit l’homme le plus blasé du système solaire, il y a donc quand même peu de chance pour qu’il soit tombé sur visiteur venu de très loin.

– Admettons.

– Or il se trouve que le 4 juin 1947, les équipes de l’université de New York avaient fait décoller le ballon de recherche atmosphérique n°4. Qui se trouvait dans un rayon de 17 miles du ranch Brazell quand sa balise de localisation est tombée en panne. Ces recherches atmosphériques de l’Université de New York étaient connues et publiques. Ce qui ne l’était pas, c’est que ces travaux relevaient également du projet Mogul.

– Ha ha, on y vient.

– L’engin était équipé de réflecteurs radars, des structures semblables à des petits cerfs-volants fabriqués avec des baguettes de bois et de l’alu, ainsi que des petites pièces de métal. Les ballons eux-mêmes étaient en néoprène, soit en caoutchouc. Je dis les, parce qu’il s’agissait en fait d’un grand assemblage de 24 ballons distincts pour emmener tous les réflecteurs et instruments. Le tout faisait plus de 200 mètres.

A la bouche il faut compter deux mois pour tout gonfler.

– Donc si je résume, Grazell aurait bel et bien trouvé des débris d’un ballon de recherche atmosphérique, mais relevant d’un programme militaire secret d’où l’implication de l’armée dans l’enquête. Armée qui aurait commis un mensonge par omission en confirmant la nature de l’aéronef mais pas sa véritable mission ni son origine.

– C’est ça.

– D’accord.

– Et pour ce qui est…

– Hop hop hop. C’est bien joué, je dois le reconnaître. Tu as failli m’avoir. Et les signes étranges, alors ? Tu croyais que je les avais oubliés, hein ?

– J’allais y venir, parce qu’ils plaident en ma faveur. En 1995, le professeur Charles Moore, qui était étudiant à l’université de New York en 47 et avait participé aux travaux, a expliqué que la bande adhésive utilisée pour fixer les réflecteurs sur le ballon avait été achetée dans un magasin de jouets de New York. Avec des motifs un peu abstraits de type floral.

– Pfff, t’as rien trouvé de mieux ?

– Si, des photos des motifs en question. Je te laisse décider s’il s’agit plutôt d’une calligraphie d’un autre monde ou d’emballage-cadeau.

Nous au moins sur Pioneer on a mis des gens à poil.

– Mouais.

– Mais en fait l’argument le plus évident reste celui du calendrier.

– Les trois semaines entre la découverte et son signalement ?

– Surtout ce qui s’est passé pendant ces trois semaines. Brazell se rend à Corona quelques jours après que le mot « soucoupes volantes » a fait son apparition dans les journaux, avec l’incident du 24 juin 1947. Ce jour-là, le pilote Kenneth Arnold dit avoir observé des objets d’une forme similaire à des boomerangs, mais rebondissant dans l’air comme des soucoupes qui feraient des ricochets sur l’eau, à proximité du mont Rainier dans l’état de Washington. Quand notre fermier se rend « en ville », il apprend ces événements et fait le lien. Il est alors convaincu que ce qu’il a découvert sur ses terres est l’épave d’un de ces disques volants, d’où son rapport au shérif. Et la presse locale reprend cette théorie sans sourciller.

Alors que des satellites soviétiques sont eux en partance pour Paris, manifestement.

Par la suite, les tenants de la thèse extra-terrestre auront beau jeu de dire que ce qu’on a récupéré à Roswell ne ressemble pas à un ballon météo, puisque comme on l’a dit, de fait, ce n’est pas un ballon simple du type de celui utilisé classiquement pour faire de la recherche, mais un assemblage de plusieurs « modules ». En outre, les projets Mogul et Skyhhok vont continuer à entretenir la confusion.

– Comment ça ?

– Je ne peux pas te dire ce qu’a vue Kenneth Arnold le 24 juin…

– Tu ne peux pas, ou tu ne peux pas ?

– Je ne…je ne sais pas, ok ?

– On se comprend.

– Non, je ne sais pas.

– Je vois où tu veux en venir.

– Bref, je ne sais pas, mais le 7 janvier 1948, un groupe de chasseurs P-51 Mustang est envoyé en interception d’un ovni dans le ciel de l’Ohio. Deux des trois pilotes abandonnent à environ 5 000 m d’altitude parce qu’ils n’ont pas de masque à oxygène, mais le troisième, le capitaine Mantell, suit l’objet en haute altitude, au-delà de 7 km. Il finit par faire un black-out, s’écrase et meurt. Ce qui ne fait que relancer l’intérêt et les spéculations sur les ovnis. L’Air Force publie un rapport selon lequel il pouvait s’agir de Venus ou d’un ballon. C’était en fait un ballon Skyhook, que la base de l’armée de l’air avait repéré sur ses radars.

– Mais c’était classifié.

– Voilà. Sachant qu’en volant à haute altitude, les ballons prenaient des couleurs particulièrement voyantes, en particulier en contraste avec le ciel obscur, avant le lever ou après le coucher du soleil. Ils pouvaient donc apparaître comme des phénomènes étranges dans le ciel, et une cause majeure, sinon la cause, de la « folie des soucoupes volantes » qui a saisi les Etats-Unis à la fin des années 40.

– Tu vas te faire des amis chez les ufologues.

– Ca me changera des antivaccins.

– Et alors, à propos des enlèvements ? Je veux dire, cette histoire de sondes ana…ah, il est parti.

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3 réflexions sur « La vérité est ici »

  1. Notre bon maître, juste un détail, le chasseur, c’était un P-51, pas un F-51…sinon, c’est rigolo et instructif votre site, bravo !

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